L’Anticyclone des Açores, c’est le symbole de la stabilité météo. Il a pour effet de repousser les dépressions. Pour illustrer ce phénomène simplement : sur une carte de situation météorologique, le vent est représenté par des flèches (indiquant sa direction et sa force) qui suivent des couloirs appelés courbes isobariques (représentation graphique obtenue par la mesure d’un ensemble de points où la pression atmosphérique est égale). L’anticyclone est au cœur du dessin, comme un ensemble fermé de haute pression à l’intérieur duquel il fait beau temps, parfois brumeux. Le vent y est donc faible, quasi nul et représenté par des petites bulles…
Est-ce cela qui nous retient ici ?
Non, notre atterrissage ne s’est pas fait par hasard sur Faïal, située au cœur de l’archipel des Açores. Quelques encablures seulement nous séparent des îles voisines : Pico, São Jorge et Terceira.
Et puis Horta, en étant le port le plus protégé naturellement, génère des passages en tout genre. C’est ainsi depuis le début du siècle. Après la seconde guerre mondiale, des navires de toutes tailles mais aussi les premiers hydravions transatlantiques remplissaient la baie.
Un soir, alors que nous prenons un verre avec quelques amis sur la baie de Porto Pim (l’endroit le plus romantique à cinq minutes du port, une magnifique terrasse en hauteur entre l’océan et le flanc du Monte Guia), un couple d’un certain âge retient mon attention, assis côte à côte, ils sont simplement beaux. Habillés pour l’occasion, ils semblent au comble de la satisfaction. Je ne peux m’empêcher de les saluer, puis même de les interroger. J’apprends ainsi que la source du petit bonheur suspendu au fond de leurs yeux, c’est Horta.
Cette ville, ils la découvrent par l’océan à l’époque où Laurène découvre le monde, soit 27 ans plus tôt. Pour être précis, en 1983, ils entreprennent un voyage qui ressemble de très près à celui que nous achevons. Ils quittent la France pour les Antilles en participant à la croisière des alizés, c’est en 1985 qu’ils arrivent aux Açores en provenance de Point à Pitre.
La superposition et le décalage d’un quart de siècle nous touche, le témoignage de Claude et Magdeleine nous livre une ville restée intacte. Ils imaginaient une côte bâtie, défigurée par les hôtels de luxe en béton mais le joyau est resté fidèle à leur mémoire.
Les ports ont été, au fil de notre voyage des greniers à rencontres (et à histoires en tout genre), mais celui-ci tout particulièrement. Les océans se pratiquent à certaines saisons, dans un certain sens. Ce n’est pas un hasard si les gens se croisent et partagent des expériences pourtant très différentes au bout du même chemin. Ici, nous sommes au carrefour de plusieurs routes.
Si la majorité des navigateurs arrivent de tout points de l’Amérique, d’autres visent les Açores depuis l’Afrique et même l’Europe.
Dans chaque cas, la mer est vécue différemment, les expériences sont riches d’enseignements !
Cette année quelques bateaux ne sont pas arrivés à bon port… notamment aux Açores. Voici quelques anecdotes de naufrages qui finissent bien, il semblerait que quatre bateaux qui nous précédaient ne soient pas arrivés: le premier a coulé à cause d’un incendie déclaré sur un des moteurs (il s’agit d’un catamaran), le skipper ignorait qu’un orifice spécial était prévu pour l’utilisation de l’extincteur. En ouvrant le coffre moteur, il crée une explosion qui signe la perte de son navire… le second subi une puissante vague qui provoque la déchirure de la jupe arrière (rapportée) ! L’événement génère une voie d’eau importante que le capitaine ne peut surmonter seul. Il finit par percuter le radeau de survie (après avoir communiqué ses intentions par radio) dans lequel il s’installe, mais il ne supporte pas longtemps sa condition (ces canots sont couverts d’une toile, un peu comme une tente de camping). Il quitte donc le bateau, puis perd le radeau pour finir sans rien dans son annexe !
La dernière histoire concerne un voilier qui a touché un objet, peut être une baleine ?
Même situation que le précédent, un solitaire qui doit faire face à une voie d’eau importante mais cette fois, le problème génère une autre panne d’ordre électrique (plus de pompe de cale car plus de batteries).
En communication avec un autre voilier, l’homme se bat pour évacuer l’eau pendant de longues heures, le voilier au courant de l’avarie reste assez proche et décide d’envoyer sa propre annexe à l’eau avec à bord un petit groupe électrogène… L’annexe et le groupe n’arriveront jamais jusqu’au navire en détresse, l’homme à bord est finalement contraint d’abandonner le navire. Il sauve un sac contenant les indispensables papiers jusqu’à son sauvetage où il l’égare.
Il y a aussi les récits des gens que l’on rencontre directement, comme François sur Pitufo, un voilier en acier qui est une histoire à part entière.
François a imaginé, dessiné et fabriqué son rêve comme son bateau, c’est un homme barbu d’une soixantaine d’années qui a toujours une pipe ou un sourire aux lèvres. Comme beaucoup de navigateurs solitaires, c’est en quelque sorte un moteur diesel…impossible à arrêter quand il est parti !Après avoir suivi un amour de jeunesse jusqu’en Allemagne, il y exerce la profession de kiné pendant plus de vingt ans, il quitte ensuite la terre et donne libre court à son envie…le large.
Cet homme, avec qui nous avons dîné à plusieurs reprises, apparaît comme un sage. Il se distingue par la réserve et le calme avant de se révéler comme un livre complexe. Il s’exprime en quatre langues sans manière mais maîtrise, chaque sujet abordé libère une connaissance incroyable, notamment en mécanique. Après avoir exercé ses dons sur le squelette, il s’attaque au moteur avec la même passion. Son bateau est actuellement propulsé par un moteur à essence de Fiat 126 acheté en panne pour cent euros. Pour varier le plaisir, il a commencé un engin (un ULM) chez son ex au Sud du Portugal, il sera propulsé dans les airs par un moteur de 2CV sur lequel il bricole une double carburation…
Là où le grain de sable perturbe la mécanique, c’est précisément dans le sablier…
Le temps semble avoir un effet récurrent chez ces navigateurs de talents, on pourrait parler (sans pour autant que cela soit péjoratif) de clochards des mers, les pros de la récupération qui font des merveilles avec de l’air et des idées.
Au bout de vingt-cinq ans, le problème devient une histoire d’objectivité. Quel regard Guy (un autre solitaire qui retape des machines à coudre dans la baie de Saint-Georges à Grenade) porte-t-il sur sa maison-épave en acier encalminée, enracinée. L’homme qui réalise ses rêves perd-il la notion de flottabilité, de sécurité ; où est la limite ?
En prenant la mer, François court un risque…
Son bateau ressemble à…
Non, pour commencer une description fidèle je dois avouer que Pitufo ne ressemble à rien ! François l’a jugé trop petit en cours de carrière (il mesurait 8,50m) et à choisi de le couper en deux pour lui ajouter deux mètres ! Cette opération doit dater, elle est presque invisible…
Ce qui saute aux yeux, c’est le mat rallongé, les haubans et autres câbles qui sont mis bout à bout, les tubes d’acier cassés qui remplacent les filières inexistantes, etc.
Observer Pitufo, c’est se perdre !
A présent, le petit couple (François et son bateau) est à sec au bout du port, Vladimir (notre feu voisin du ponton B) a ressoudé une tôle de deux mètres de long sur l’avant !
François a passé, lui aussi, sa traversée depuis St Martin à écoper des centaines de litres quotidiennement. A trois reprises, il a plongé (accroché à un bout) pour colmater au mieux les voies d’eaux créées par un choc dont il ne connaît pas l’origine.
Il fait partie de ceux qui bougent encore, je lui souhaite de ne jamais s’arrêter. Finalement, il a l’air heureux !
Pour revenir à nos aventures personnelles, Dieu merci nous sommes toujours en mouvement !
Après avoir sillonné les réserves naturelles et les campagnes en multipliant rencontres par découvertes, nous suivons volontiers l’équipage de Flamboyant (les 4 F, Fred, Florence, François) qui nous invite à tester la couchette arrière du Sun Kiss 47. Nous les retrouvons au mouillage de Madalena à Pico (la houle rentre et rend le mouillage infect, mais grâce à l’expérience d’un pêcheur qui nous apprend à installer des poids sur les amarres, nous passons une bonne nuit à quai). Le Pico, majestueux cône volcanique, est le plus haut sommet portugais (2351 mètres) et la caractéristique principale de cette île «noire».
Enfin presque, ce qui nous conduit au cœur de ce décor fabuleux, classé patrimoine mondial de l’humanité, c’est plutôt la particularité de la vigne. Le labeur des hommes est omniprésent, des milliers de kilomètres linéaires de pierres volcaniques rangées, empilées impeccablement pour former des petites parcelles souvent cultivées à la main et à la mule (la terre est rare sur Pico, les cultivateurs l’importent de Faïal, en retour les maçons de Faïal importent les pierres). La vigne est lumière sur fond noir, nous parcourons les étroits chemins de lave pour atteindre le domaine «insula» où nous trouvons des hommes en plein travail. L’un d’entre eux, le propriétaire, nous emmène pour une dégustation «au cul du tonneau». Comme le vin (le verdelho) le type est charmant mais semble clairement plus intéressé par ses pieds de vignes que par les casses pieds que nous sommes.
Nous repartons quand même chargés de quelques litres (17 litres à peine, cela devrait suffire pour les copains !) de précieux sang de lave, sans flacon ni étiquette.
Le calendrier des fêtes est plein à craquer pour divertir les îliens, tout particulièrement pour la période estivale. Ce soir nous sommes conviés à une fête religieuse juste devant la chapelle du petit port de pêche du bout de la ville. Rui qui nous y invite a vingt ans, il est fier de son île et de ses traditions, un de ses amis est pour l’occasion en costume de cérémonie sur scène au cœur de l’orchestre philarmonique (il y en a treize sur l’île). L’atmosphère sort tout droit d’un album-photo souvenirs aux pages glacées, où les photographies ont les couleurs des ducasses de village d’il y a trente ans. On y mange sous une tente des «lulas», et des gros haricots rouges comme le nez du voisin, etc.
Les générations y sont toutes parfaitement représentées : les petites filles en robe de soirée dansent en se moquant cruellement de la petite grosse, les garçons jouent au football avec une bouteille en plastique remplie de sable et se fichent du reste du monde.
Les parents ont trouvé un bout de comptoir pour y retrouver leurs amis et les vieux s’endorment dans les fauteuils en plastiques au troisième rang.
Pico est aussi l’occasion pour Laurène de reprendre le volant… de me conduire jusqu’à 1300 mètres, jusqu’aux nuages ! En passant, j’ai vécu des heures de stress aussi intenses que mémorables en passager, donc du côté des précipices ! Je pense qu’il est important de préciser que le métier de moniteur d’auto école est un métier difficile. Laurène affiche 50 heures de conduites à tout casser ; avant le virage dans lequel on trouve un troupeau de vache au beau milieu de la route… Le véhicule est parfaitement maîtrisé pour l’arrêt, la difficulté c’est plutôt le démarrage (sous les yeux du type qui fait de son mieux pour rassembler les bêtes) en côte dans les cailloux et le troupeau. Plus tard, Laurène nous fait un petit virage rapide digne d’un rallye de montagne ou d’un jeu vidéo! La raison : « tu me demande de tourner mais il y a une voiture qui nous suit ! ».
Et puis arrive le grand jour, le jour où des amis vous rendent visite. On y croyait plus vraiment au bout de dix mois !
C’est Julien qui séduit une copine, monte un projet, fait acheter deux billets et boucle sa valise en 48h. Bravo !
Son courrier explicatif est aussi culotté que drôle, je me dois de le partager :
Julien : (extrait de l'improbable mail envoyé de Lisbonne à son ami, pour qui il/nous tournons le clip)
« Il y a du nouveau pour le clip. Alors que j’étais place des fleurs à déposer un cv au petit kiosque, je parlais du tournage avec Héloise sur un banc, et Xavier m’appelle !
Xavier est mon ami de Saint Ouen qui vit avec Laurène dans la première maison, c’est le belge qui a l’atelier où Gian Carlo et Ricardo se trouvent.
Il a fait le tour de l’Atlantique sur un bateau avec Laurène son amie.
Il y a un blog qui raconte leur journal de bord et cette histoire va sans doute devenir un livre. Des publications d’articles dans un magazine de voile sont prévues.
Ils sont actuellement aux Açores, les îles portugaises au large, portes de l’Europe quand on vient de l’Amérique.
Mes parents ont construit des voiliers et j’ai passé tout les étés, parfois des hivers de mon enfance et adolescence sur un voilier. Sur la mer l’océan et parfois même des fleuves et des canaux.
C’est une formation très forte que de vivre sur une coque avec sa famille. C’est parfois très dur surtout pour l’enfant un peu autiste que j’étais.
Il y a des choses que je n’ai pas comprises et que je n’ai pas aimées. Je me dis qu’il faut que j’y retourne.
Je ne suis jamais vraiment remonté sur un voilier et naviguer depuis cette adolescence.
Filmer Héloïse qui me trouble le cœur, avec Xavier et Laurène et surtout la mer, la plénitude, l’océan, la lumière et l’horizon.
L’intimité de la coque, d’un cockpit, comme dans une coquille de noix et l’immensité du grand tout bleu et lumineux sur les bords.
Tu me proposais de me prêter de l’argent pour ma santé mentale.
Je vais faire de l’art thérapie : Je vais tourner ton film sur le bateau : un groupe de 4 personnes : 2 femmes, 2 hommes (barbus J):
Xavier a une formation en cinéma avant de devenir ébéniste, scénographe et constructeur, Laurène est graphiste et directeur artistique, étude de tendance, elle a une forte intelligence et s’émerveille sans cesse du monde animal. Héloïse, qui étudie l’histoire de l’art et a une bonne culture cinématographique de par sa famille et qui s’émerveille presque de tout, m’accompagnerait.
Il nous faudrait juste prendre un avion et Xavier et Laurène nous nourriraient sur place.
Le prix des billets d’avion pour Héloïse et moi s’élève il y a des vol pour 2 compris entre 198 ou 250 euros soit environs 400 euros.
C’est la somme que je souhaite t’emprunter pour ma thérapie, si c'est possible.
C’est aussi la somme régie du tournage sur l’horizon.
Ce tournage, (les rush super 8), je compte l’exposer dans les installations d’Olivier Perriquet (des installations de projecteur vidéo argentique) lors d’exposition et il pourra servir aussi au livre de Xavier et Laurène.
Nous utiliseront ces rushs pour monter le vidéo clip du titre « on the verge » de Loki Starfish.
Il faudrait qu’on parte pour le samedi 3 juillet.
Dis-moi ce qui est possible ?
Bien à toi,
Julien »
Et ils atterrissent effectivement le jour prévu, pour une courte semaine de travail/vacances(le programme est lourd, dix bandes de trois minutes à tourner !).
Julien n’a pas changé, Héloïse est charmante !
L’axe des prises de vue n’est autre que l’horizon, nous passons donc du temps sur l’eau, (à la voile ou au moteur, et oui c’est la nature qui a le dernier mot quand on est pressé) entre Horta et Velas sur São Jorge puis Pico où nous retrouvons Rui par hasard pour une nouvelle soirée de folklore.
Rui chante dans un groupe traditionnel de Pico, nous dansons et buvons des Aguardiente jusqu’à ce que nous puissions rejoindre dignement Goudrome en annexe…
A travers cette courte visite, nous redécouvrons l’idée de programme, la vitesse, les impératifs avec toute la mauvaise foi dont on peut se prémunir pour croire que nous-mêmes n’en avions jamais été victimes. Quand Julien reçoit un coup de fil sur son portable, nous sommes presque choqués.
Ce séjour laissera des traces indélébiles de fado, de chants de «Cagarro», d’hortensias, de vertes prairies, de piscines naturelles, et de quelques gueules de bois…
Le départ d’Héloïse et Julien nous laisse aussi face à notre propre départ, incontournable !
Heureusement, pas plus tard que le lendemain, nos amis d’Epicure arrivent avec leur lot d’histoires en provenance de Flores qu’ils ont adoré. En plus du yaourt, Damien s’est mis à la fabrication de fromage !
Nous passons de bons moments mais cette fois nous avons une date à respecter, nous accueillons d’autres amis, à Terceira cette fois.
Les préparatifs de départ se font sans stress, je m’autorise même une petite sortie avec Vladimir histoire de tester un Bavaria 36. Quelle surprise une fois à bord, Vladimir n’a jamais manœuvré seul et a très peu d’expérience. Je le découvre très vite, il ne prête pas attention au vent, envoie toute la grand voile par presque 20 nœuds sans la regarder (elle est déchirée, nous prenons deux ris pour la réparer en collant un adhésif sur les deux faces !). Au moment d’envoyer le génois, idem sous la capote qu’il n’a pas voulu replier, il sort le génois au winch !! Et sans choquer la bosse d’enrouleur…
Résultat, je l’arrête dans son élan victorieux sans trop croire à ce qui arrive, le système d’enrouleur est déjà cassé…mais réparable.
La voisine anglaise, Carolina, embarquée aussi pour l’occasion surprise ne sait pas plus où se mettre, Vladimir se fait maintenant prendre en photo par le quatrième embarqué (un de ses potes de San Miguel qui voudrait prendre des cours de voile) à la barre, cheveux dans le vent et une bière à la main.
Adieu Horta, on avait oublié le sentiment ressenti la veille d’un réveil non naturel. A 5h du matin nous sortons lentement du port qui dort…
Nous sommes silencieux et émus, pas un mot ne se présente à la porte, nos regards se croisent et nos cœurs sont serrés (les pensées de Laurène sont certainement encore au centre hippique).
Une légère brise nous emmène tranquillement à Graciosa où nous trouvons un mouillage paradisiaque. Le lendemain à l’aube nous poursuivons la route par un bon souffle de Nord Ouest vers Praia da Vitoria en longeant Terceira par le Nord.
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