vendredi 25 juin 2010

La transat version équipage

Après le récit de transat par le capitaine, voici le récit tel qu’il apparaît dans le carnet de voyage de l’équipage. C’est plus concis, reporté de manière quotidienne dans les conditions de notre habitacle en marche mais il nous a tellement faire rire hier soir que nous y avons rien ajouté et j’ai finalement accepté de le partager tel quel.
Un jour, lorsque mon précieux mac sera de nouveau opérationnel, je pourrai y ajouter quelques illustrations du même carnet.


Samedi 15 mai / Jour -1
Nous quittons la marina de bas de Fort à Pointe-à-Pitre pour aller dormir une dernière bonne nuit à Marie-Galante.

Dimanche 16 mai / Jour 1
Départ de Marie-Galante, une connerie. Nous tirons des bords toute la nuit dans des grains. Stress et énervement à bord. Beaucoup de vomis.

Lundi 17 mai / Jour 2
Traditionnelle crise d’hystérie et tétanie quand il faut recoudre la voile au près et sans l’affaler. Menace de retour à Saint Martin. Encore du vomi.

Mercredi 18 mai / Jour 3
Ça bouge ! Toujours au près. Je commence à manger un peu de crudités (carottes, concombre, tomates, melon) Dans quelques jours je dirais : « j’ai fait la transat retour ». Point. Ça ne sera qu’un événement de quelques mots dans ma vie. Mais pour le moment j’en fais tout un plat.
Meilleure position : allongée sous le ventilo.
Meilleur moment : ceux où je rêve en dormant, rinçage à l’eau douce sous la pluie.
Pire moment : la nuit. Rentrer faire le point puis vomir.
Meilleur repas : les compotes, le melon.

Jeudi 19 mai / jour 4
Mon problème avec la houle.
Si le bateau se contentait d’être le bateau, le vent d’être le vent, alors je n’aurais aucun soucis en nav. Non, ce qui fout la merde au tableau c’est la houle. Un bateau qui file sur une mer plate c’est idéal et ce n’est (presque) JAMAIS le cas.
PS : vomi mes crudités cette nuit.

Mercredi 20 mai / jour 5
Renaud dit : « j’ai vomi mon 4H et mon minuit aussi, je me suis cogné partout, j’ai dormi dans des draps mouillés, ça m’a coûté des sous, c’est d’ la plaisance c’est le pied ». J’écoute beaucoup Renaud en ce moment. J’aime bien. Il me fait rire. C’est un poète à sa manière.

Nous avançons à 120 milles par jour. Cela veut dire qu’il reste encore... 15… 16 jours ? Si nous ne rencontrons pas d’embûches. (Dieu, que ça tangue, c’est infernal)

Vendredi 21 mai 2010 / Jour 6
Le temps me semble long. Ça tangue toujours à bord, je me déplace peu mais je lis et regarde des films. Je n’ai toujours pas d’appétit. La nourriture me dégoûte un peu car j’ai constamment peur de vomir. Si je mange, cela se vérifie malheureusement. Ce petit régime imposé n’est pas plus mal.

Un oiseau marron et blanc nous suit depuis quelques jours. Il vient se poser dans le sillage de Goudrome, met sa tête sous l’eau, puis repart en s’approchant de plus en plus près. Il est de moins en moins farouche. Nous l’encourageons en poussant des petits cris «kiou kiou» comme on a vu Moitessier le faire dans la vidéo de la «Longue route».

Je lis un livre bien : « Bel espoir, voyages avec les drogués », des voyages effectués en 72, 73, et 74 avec le Père Jaouen. Je suis molle, je me laisse vivre. Décidément, je n’aime pas les longues navigations, elles me dépriment un peu.

PS : Je salive devant les fiches recettes de Elle. Particulièrement le navarin d’agneau avec les petits pois frais. Le lapin à la moutarde aussi. Les crèmes catalanes. Les rougets au jambon de Bayonne. J’ai hâte d’arriver aux Açores pour goûter à la gastronomie Portuguaise. Il reste1800 miles environ (poisse, c’est long).

Samedi 22 mai / jour 7
J’ai vomi ma compote. Ça secoue toujours et ce n’est pas agréable. Ce matin j’ai «pété les plombs» en constatant que l’eau s’infiltrait dans mon placard à habits, foutant en l’air au passage quelques vêtements. Tout est trempé, pue déjà, et certains sont tâchés de rouille (les blancs évidemment). Je m’emporte, crie, pleure, ce bateau je ne le supporte plus, au lieu de m’épanouir, il m’affadit de jours en jours, me transforme en loque… Je n’aurais jamais du céder à l'insistance de Xavier... Bref, tout cela permet de nous expliquer, d’en parler calmement. De remettre nos attentes sur la table, et de ne pas en vouloir à l’autre de ce qu’il ne peut pas faire. Du coup ça va mieux.

On lance des appels VHF sur le canal 16, cela donne : « appel à tous les bateaux, ici Goudrome petit voilier de 10m, nous traversons l’Atlantique, quelqu’un nous entend ?" Evidemment, nous ne recevons pas de réponses, mais il serait bon de pouvoir parler à quelqu’un d’autre. C’est rageant parce que si ça trouve un bateau se trouve juste à un mille de notre portée et il n’entend rien.

PS : Xa joint un cargo dans la nuit, il nous dit « good luck and take care ».

Lu : Le diable par la queue, Paul Auster (bien) et L’écume des Jours, Boris Vian (pas aimé)

Dimanche 23 mai / jour 8
Xavier et moi imaginons que nous vivons dans un théâtre. Des gens sont payés pour secouer le bateau et balancer des seaux de flotte régulièrement.

Ce matin, alors que nous dormions un peu tous les deux, j’ai entendu un énorme crac (une vague venue s’éclater sur la coque, encore). Et lorsque j’ai ouvert les yeux, c’est un Xavier à la verticale, les yeux exorbités, suivi de son matelas et oreiller qui m’est apparu : il a volé de la couchette jusqu’à la table ! Un bidon d’eau est tout droit sorti du placard en dessous pour se répandre dans le carré, un jerrican de gasoil en fait de même, se déversant au passage dans les chaussures de Xa. L’eau s’infiltre dans l’aération de la cabine avant, le moral est un peu bas ce matin.

Le bateau est sans dessous-dessus. Cela Fait 7 jours sans discontinuer (nous hésitons à nous arrêter aux Bermudes) mais cela ne peut pas durer éternellement, ça finira par se calmer. J’ai peur de m’arrêter aux Bermudes et de ne plus vouloir revenir dans le bateau. Sans rire.

Sur RFI, la présentatrice décrit un temps magnifique à Paris et espère qu’il e est de même en mer. A la fin du bulletin, elle s’excuse parce que les conditions en mer ne sont pas terribles (c’est le WE de pentecôte, réunion familiale, j’aimerais y être).

Mardi 25 mai 2010 / Jour 10
Le temps est calme. La mer douce. Le ciel gris. Le moral revient peu à peu. Je mange. Je lis «La première gorgée de bière » de Phillipe Delerm. J’aimerais faire tant de choses en rentrant à Paris

  • Boire un thé au lait au coin du feu enroulée dans une couverture à Saint-Ouen
  • Monter à cheval accompagné de Jewel le dimanche après midi
  • Flâner dans les rues de Paris (seule ou avec une copine)
  • Cuisiner dans la grande cuisine
  • Me lover dans un bain chaud
  • Pédaler autour du jardin des Batignolles
  • Acheter un nouveau vélo pour mes escapades à Gambais (un genre de vieux VTT)
  • Conduire et vagabonder sur les routes de France, à plus faible distance en forêt de Rambouillet souvent, placer Xavier dans cette même voiture et l’emmener au hasard.
  • Marcher dans la boue en Bourgogne. Y boire du vin dans une maison en pierre.
  • Emmener Maman en virée en Belgique, place du jeu de paume à Bruxelles, toutes les deux
  • Aller camper en montagne avec Papa. Juste entre père et fille.
  • Rendre visite à Emeric au Danemark, avec Brice. Juste entre frères et sœur
  • Regarder pousser les petits pois.
  • Aller au marché le dimanche matin et faire un détour pour aller chercher la baguette chez le boulanger primé « meilleure baguette de l’année en cours ». Un snobisme délicieux.
  • Rentrer le soir un peu fatiguée sur ma bicyclette, m’arrêter dans un petit bar, y attendre Xavier, Seb, Caro, Will, Julien, Carmen, Julia… et qui voudra
  • Dans une autre version : rentrer le soir un peu fatiguée sur ma bicyclette et retrouver Xavier dans un petit restaurant… Un Eddy’s Burger au Manoir, un restaurant japonais, une pizza italienne… peu importe pourvu que ce soit à Paris.
  • Ecouter Fip en prenant le petit déjeuner, surtout n’écouter les infos que d’une oreille.
  • Parcourir une nouvelle épicerie japonaise, démasquer les saveurs de la cuisine nippone, pour les recréer dans ma propre cuisine.
  • «Allez tiens, elle me va bien cette robe, ça sera joli avec mes bottes» et emporter l’objet du délit hors de la cabine d’essayage pour la porter le soir même
  • Trouver des nouvelles graines chez Leroy Merlin, ah puis un nouveau pot… et puis du terreau… et de l’engrais… et de...et de…
  • Etaler des draps propres dans le lit, les respirer et attendre Xavier.
  • Faire un hachis parmentier, au FOUR ! Tout ce qui se gratine est délicieux.



Lu : Greffier, Joan Sfar (très bien) et Trieste Bologne, David B (bien)

Mercredi 26 mai / Jour 11
Entre hier et aujourd’hui nous n’avons fait que 50 miles ! Une merde ! La veille on en avait fait 152 !

La nuit a été très calme, plus du tout de vent, la grand voile affalée, nous nous faisons bercer par les flots apaisés. Inutile de préciser que je suis très en forme.
Je fantasme le retour à Paris et surtout l’arrivée aux Açores et toutes les nouvelles merveilles. Xavier regarde la trilogie du Seigneur des Anneaux, version longue, il confond tous les personnages mais il aime bien.

Nous parlons beaucoup, varions les sujets de conversations. Enfin, on essaye.
Phrase du jour : «C’est super, on est de travers, Laurène!

Oui, c’est vrai, j’occupe aussi mes journée à découper des recettes de cuisine dans des magasines… Dieu du ciel, ce carnet de voyage est composé de 90% de bouffe!
(Recettes découpées avec photos à l’appui : Méli Mélo de printemps et veau Gremolata, fraises compotées et perles coco-vanille, terrine de raie et poireaux nouveaux, carré de veau aux morilles et grosses frites de polenta, terrine de lapin aux pistaches, noisettes et pignons, saltimbocca de veau).

Lu : La gloire de mon père, et le temps des secrets, Marcel Pagnol (très bien)

Jeudi 27 mai / jour 12
Aaaaah la belle journée ! En vent arrière, un bon décrassage shampooing compris. Xavier sort les matelas mouillés, le linge sèche au soleil, et je cuisine à midi des œufs pochés au vinaigre sur lit d’épinards et champignons à la sauce St Chinian. Présentés avec des petits toasts en triangle, c’est une merveille (avec des conserves bien sûr, mais doit être encore meilleur avec des produits frais).

Lu : Nos amis les humains, Bernard Weber (pas aimé) et La bible au féminin, Sarah, de Marek Halter (pas mal)

Samedi 29 mai / jour 14
Journée très calme, au portant, similaire à il y a deux jours. La veille il faisait gris et froid et là c’est un grand soleil qui éclaire nos pensées. Nous en profitons pour faire cuire les confits de canard accompagnés de pommes de terre sautées avec de l’ail. Pas une engueulade au tableau, nous sommes en harmonie.

Franck de la Loupiote avait raison, il nous fallait le retour pour «digérer» tout ce que nous avons vu et rencontré durant le périple.

Lu : Loup, Nicolas Vannier (ouais) et Où on va papa ? Jean-Louis Fournier (très très bien)

Mardi 30 mai / jour 15
Nous apercevons une grosse baleine et des genres de méduses blanches et roses, à aileron, qui se déplacent avec le vent. On dirait des raviolis japonais. En un peu plus gros.


Lu : Nouveaux contes de la folie ordinaire, Charles Bukowski (sans commentaire); Saga, Tonino Benaquista (bien); Le pourquoi du comment, Daniel Lacotte (par intermittence)

Lundi 31 mai / jour 16
J’ai marqué tous les livres que je souhaite échanger du nom du bateau, de sa date de lecture, ainsi que la position géographique. Le prochain lecteur aura un peu de l’histoire du roman qu’il vient d’acquérir. Moi-même j’aime bien lorsque j’échange un livre y trouver le nom du propriétaire, ou même celui du bateau et son pays d’origine.

Sinon, je viens d’inventer la fougasse à la poêle ; pâte à pain, thym, lardons, olives noires. En galettes bien aplaties, un délice qui me rappelle Antibes. La pâte lève et je retarde le moment de la cuire pour humer encore la chaleur de la pâte.

Lu : L’épreuve d’une mère, Steven Mosher (bien)

Jeudi 3 juin / jour 19
Bateau, mon ami...
Comme si se faire balloter, voir valdinguer les assiettes, avoir mal au cœur, mal dormir ne suffisaient pas, voilà que ce matin la grand voile s’est déchirée lors d’un petit empannage pourtant bien préparé ; le moral des troupes est mitigé.

Nous avançons encore entre 5 et 8 nœuds par vent arrière avec juste un petit bout de foc de route… ça souffle !

PS : Vu un énorme troupeau de dauphins autour du bateau ce matin à la prise de mon quart.
PS2 : Nous nous attelons aussi à apprendre un peu de Portuguais, puisque les Açores ne sont plus qu’à 650 milles. (Et pourquoi pas Lisbonne après ?)

Lu : Parler le Portuguais en Voyage, Harrap’s

Lundi 7 juin / jour 22
On mange les préparations que maman nous avait envoyé aux Canaries : Riz parfumé recette indienne, fruits secs et lentilles corail avec un petit bouillon de légumes. C’est une très bonne idée, c’est bon et c’est joli.

Le temps est magnifique, Xavier s’impatiente mais moi je savoure ces derniers jours et je les laisse trainer encore.

Lu : la voile sauvage, de Marc Linkski (bien)

Mardi 8 juin / Jour 23
Le vent se lève, finis les heureux jours de pétole. Deux ris dans la grand voile, et nos talents d’équilibristes reviennent comme une vieille habitude.

Ce crétin d’oiseau de mer marron (que je nomme Kiou) essaye d’attraper le poulpe qui est au bout de la ligne de pêche. Il l’a déjà pris dans son bec et l’a relâché aussitôt, dégouté ! Ce fil de pêche ne nous sert de toutes manières qu’à pêcher des lambeaux de méduses.

Lu : Best tips from woman aboard (bien)

Vendredi 11 juin / Jour 26

On voit les Açores, je me réveille. Je note vite avant d’oublier.


Rêve : On était sur Goudrome, pas loin d’arriver dans un mouillage, et le vent se lève… Beaucoup de vent, le bateau s’affole. On atteint les 40 nœuds, on file tellement que la barre est toute souple, tout vrombit comme dans une voiture de course. Je regarde le GPS : panique ! 50 nœuds ! Et en plus il y a une baleine endormie sur notre chemin. On va tellement vite à côté d’elle qu’elle se réveille furieuse.
Nous sommes cramponnés à la barre et on ne sait pas bien quoi faire parce que la baleine nous poursuit. Elle nous regarde méchamment et donne un coup de queue. Elle nous loupe, et heureusement parce que le GPS affiche 60 nœuds !
Nous hurlons de joie et déchantons vite parce que nous sommes presque arrivés sur une ville avec AUCUN moyen d’arrêter le bateau.
Pas le choix, nous fonçons sur la plage et nous nous engageons sur une route, on trace comme à bord d’une voiture en enchainant les empannages et virements de bords.
On arrive dans un virage très serré, bordé de taquets et de winchs, mais évidemment on arrive rien à attraper, on vire sec… ça passe.
Le bateau décolle, et on chute sur la plage, ou plutôt, on s’échoue. Plop ! Comme une méduse. On sort en rampant du bateau, pour aller à la paillote du coin.
La femme sert des petits beignets appétissants, mais après quelques minutes ils deviennent transparents comme de la gelée de méduse et renferment un tout petit crabe figé. Alors on prend un coca et on retourne toujours en rampant, dormir dans le bateau couché à l’horizontale pour attendre la marée montante.

Toujours le 11 juin / Jour 26
Et bien nous y voilà à Horta, bien amarrés. Première étape : le célèbre bar de Peter.


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mercredi 23 juin 2010

Faïal - (Horta) Entre terre et mer


Marina de Horta




La caldeira


Petit lusitanien dans les champs de menthe sauvage

Au dessus de Horta

Ce chariot transporte des petits pain de maïs pour la fin de la messe de la "festa da mundo rural"



Baie de Porto Pim, vue de la terasse du petit bar/restaurant du même nom
Cours de dressage matinal avec Arpaõ
Notre "trace" du passage à Horta
Aucune idée de ce qu’a pu ressentir Amstrong lorsqu’il a posé le pied sur la lune.

Pour nous ce 11 juin 2010 la terre, la dure, l’immobile fut matérialisée par d’abord par un quai intégralement recouvert de peintures souvenirs, de traces laissées par les navigateurs de passage sur Faïal.

Ce quai, nous le foulons après avoir enjambé 5 filières et salué chaleureusement les propriétaires des bateaux à couple que nous traversions. Les premiers pas cotonneux nous étourdissent, nos jambes molles nous conduisent directement au bâtiment flambant neuf de la capitainerie toute proche, nos yeux se croisent et se perdent. Le sol est une fresque gigantesque, les quais sont bondés de bateaux, de drapeaux, d’énergie… trop d’informations pour nos sens engourdis !

Depuis des semaines, notre esprit vagabondait tranquillement. La moindre information provenant d’une vague proche ou de l’horizon lointain éveillait notre curiosité.

Nous entrons dans le premier petit bureau, moderne et clair et trouvons deux hommes souriants. Ils s’expriment, blaguent en français, anglais et portugais. Les conversation entrent et sortent de la pièce (il y a du monde partout), un anglais d’une soixantaine d’années (copie conforme de Woody Allen) fait appeler la prison où se trouve son pote qui transportait 200 grammes de cocaïne, un jeune français libère une place de port et a le malheur de croire que la capitale des Açores est Sao Miguel (les Açores sont des Iles Portugaises, Lisbonne est la capitale).

Les formalités nous conduisent ensuite dans les bureaux de douanes, immigration et enfin la police maritime. L’ensemble se fait dans le même petit bâtiment, en moins de dix minutes et pour la modique somme de deux euros mais nous resterons à couple quelques jours.

Il est midi, l’excitation a pris le soin d’épargner nos estomacs depuis la veille (le dernier repas avalé date d’avant la nuit), nous redécouvrons l’architecture et le souffle de l’histoire à travers les premiers trottoirs pavés de noirs et de blancs de Horta.

Quelques centaines de mètres à peine pour trouver le mythique bar, rendez vous incontournable des circumnavigateurs, le célèbre « café sport ».

Nous y prenons notre premiers repas en partageant nos expériences respective avec Christian et Nadia (sur leur voilier Diogène, un couple suisse et leur fils Youri).

Ce bar est une véritable institution, le fondateur « Peter », accueillait déjà les marins après la seconde guerre, aujourd’hui c’est son fils José qui poursuit la mission avec les nombreux plaisanciers. Le port aussi s’est adapté et agrandi avec la croissance du nombre de bateaux, accueillant maintenant plus de mille deux cent voiliers par saison et le plaçant Horta en quatrième position des ports les plus fréquentés du monde. L’extension de la marina en est la preuve vivante, les centaines de mètres carrés du béton neuf furent recouverts des traditionnelles peintures en moins de deux saisons !

Les douches sont installées dans un bâtiment moderne au bout de l’ancienne marina, la propreté se paie mais ceci n’a rien de comparable avec le plaisir de voir couler l’eau chaude et de se voir offrir une serviette propre.

Nos promenades aux quatre coins de la ville nous font découvrir sa richesse culturelle,un fin mélange d’architecture baroque, de façades carrelées mais aussi la diversité de la flore.

Ce week-end, un événement retient particulièrement l’attention de Laurène : « la festa da mundo rural ». Au programme : exposition de bovins, compétitions équestres, concours canin, distributions de prix, etc. L’île est exactement à l’image du pays de ses rêves, l’agriculture comme l’élevage sont riches et diversifiés. Avec la pêche, c’est le cœur de l’activité des habitants, il y a plus de véhicules agricoles que de voitures dans les campagnes.

L’Ile de Faïal nous dévoile ses merveilles chaque jour, à peine sorti de la jolie ville d’Horta, nous plongeons dans le calme, la beauté et la tonicité du printemps, les parcelles de prairies sont séparées par des haies volumineuses, généralement des Hortensias qui fleurissent toute l’île, mais aussi par des espèces tropicales (cactus, palmiers,…) et d’autres de nos régions tempérées (des conifères, platanes,…).

On doit se pincer au réveil pour y croire : nous sommes au milieu de l’atlantique, à moins de1500km de Lisbonne, sur l’une des neuf îles qui composent l’archipel des Açores. Le décor est d’un vert fabuleux, la faune et la flore d’une richesse inépuisable et les gens sont charmants !

Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer pourquoi cette merveille de la nature est épargnée du tourisme de masse ?

Les qualités de cette escale sont infinies, on se demande ce qu’on est allé f… aux Antilles.

Bref, Goudrome est maintenant amarré au ponton B (les petits bateaux sont les plus rapidement placés, les petites dimensions du port en sont la raison), le ponton d’accueil compte encore un roulement de plusieurs dizaines de voiliers à couple. Nos voisins sont sympas : Vladimir sur bâbord, qui habite sur le voilier d’un ami/patron russe (il est ukrainien et bosse comme soudeur à Faïal, il nous prouve ses talents sur l’œillet cassé de la bosse d’enrouleur !). Sur tribord, Laurent fraichement arrivé sur son Ovni 28 pieds (8,5m) qui ressemble a un petit bulldozer des mers. La coque est en aluminium brut, pas de filières, rustique mais efficace. Un voilier léger et maniable en solitaire, son faible tirant d’eau lui a permis de remonter des rivières, il a passé dix ans au Sénégal !

Chaque matin, le ciel déguise le mont Pico sur lequel s’ouvre le port d’Horta quand Laurène disparaît dans la brume pour son cours d’équitation.

Pour la petite histoire, le festival du monde rural a réveillé la passion que Laurène entretient pour l’équitation. En plus de présenter des chevaux magnifiques, les festivités se sont achevées par une vente aux enchères.

Ainsi, Laurène a vu partir des bijoux contre des sommes ridicules. Le lendemain, nous étions au centre hippique d’où provenaient ces bestiaux, le jour suivant je prenais ma première leçon sans selle (au départ, mes fréquentes douleurs dorsales motivaient un refus catégorique mais que faire face à l’insistance et à l’envie de partager une passion qui éclairaient les yeux de Laurène) !

Pendant que Laurène travaille Arpao, un magnifique lusitanien de 5 ans avec un sourire aussi large que sa monture, je suis longé par une autrichienne qui me fait un cours d’une rare exigence sur le fonctionnement des muscles du cheval évidemment mais aussi du maintien de la précieuse colonne vertébrale qui me crée des soucis. Le résultat est surprenant, il a pour effet l’inverse de ce que je redoute (une vraie séance de kiné.) !

C’est que Birgit n’est pas arrivée ici par hasard, elle est venue spécialement pour exercer le dressage des chevaux destinés à la corrida portuguaise (très différente de l’espagnole et pour cause, il n’y a pas de mise à mort et le taureau gracié bénéficie d’une jolie retraite). Notre premier contact avec ce « centrou hippicou » conduit Laurène au plus profond de ses rêves, les écuries sont entièrement composées des plus beaux spécimens de chevaux de race Portugaise, et les leçons de dressage qu’elle découvre sont riches et loin des pauvres balades touristiques.

La vie est belle, le vent du large nous amène de nouveaux bateaux chaque jour, parmi eux des amis sur le catamaran « Ile de Ré » qui apparaît dans le port alors que nous passons à table sur Goudrome.

A son bord, Olivier (skipper professionnel) qui navigue toute l’année pour la petite société « d’îles en îles » accompagné pour la traversée de son sympathique boulanger pâtissier « gégé ». Ce Lagoon de 47 pieds est idéal pour le programme proposé : sorties à la journée/week-end pour une dizaine de personnes. Pour ceux ou celles qui désirent faire une virée sympa en mer depuis La Rochelle( Ile de Ré, Ile d’Oléron, Ile d’Aix, Fort Boyard) n’hésitez pas à contacter Olivier de notre part ( 70 euros la journée/personne)

Ils ne pouvaient pas tomber mieux, notre repas achevé nous laissait de quoi préparer deux bons hamburgers maison ! C’est donc muni du casse croûte de bienvenue, de quelques bières fraîches et d’un petit vin local que nous les rejoignons.

Une fois de plus le scooter s’avère le moyen idéal pour élargir la promenade, nous partons au cœur de la campagne, gravissons des sentiers rouges à perte de vue jusqu’à se perdre. Notre ascension débouche plus haut que les nuages au sommet de « la Caldeira », un cratère de deux kilomètres de diamètre au milieu d’une des nombreuses réserves naturelle.

Les routes sont libres de trafic, nous croisons moins de véhicules que de vaches.

C’est ainsi à Faïal, un seul feu rouge, entrez à la poste ou dans n’importe quelle boutique et vous serez servi à votre rythme, simplement. Il y a 15000 habitants sur l’île et pourtant les infrastructures mais surtout les mentalités sont prêtes à vous accueillir au mieux.

Nous n’en sommes qu’à la première et sommes déjà conquis, les produits du terroir des îles voisines ont déjà couvert notre table. En arpentant le joli petit marché, la coopérative, nous découvrons la grande variété de fromage de Sao Jorge, les vins particuliers de Pico, mais aussi ses ananas réellement succulents !

En poussant la porte de petites tavernes, nous dégustons de la « sopa de baleina » et d’autres spécialités de poisson comme la « cataplana à moda dos Açores», la gastronomie portugaise nous réserve encore plein de surprises !

On a un peu de mal à se priver, la vie est tellement moins chère qu’à Paris ou ailleurs (la bière à 80cts, le resto à moins de 5euros, parfois moins de 3 même pour un poisson grillé et son accompagnement, sourire inclus !!)

Autant vous dire que j’ai trouvé mon petit troquet sur le port pour le rituel du petit café (celui-ci contre 60 cts avec un GRAND verre d’eau en terrasse et internet gratuit, comme partout dans la ville !).

En général j’y croise Victor, un vieux qui a quartier libre jusqu’à 11h, il est allé en France en 1978 et adore parler français. De mon côté, je m’applique à éplucher quelques articles du quotidien pour progresser en portugais, l’accent de Faïal n’aide pas, il est tellement prononcé que la télévision a recours aux sous-titre quand elle diffuse sur le continent !

Nos soirées sont aussi l’occasion d’aller vers les nouveaux arrivants, les rencontres sont les fenêtres de nos esprits. Que ce soit le célèbre français, Pierre Raffin-Caboisse qui arrive en solitaire sur son langoustier avec ses jolies aquarelles et tant d’histoires à conter (sur les traces de Lapérouse, babarautourdumonde.fr), ou le jeune navigateur allemand Reinhart qui a fini par s’installer ici après quinze années de voile.

Il achète un terrain au milieu de la brousse avec une structure de maison inachevée pour une bouchée de pain et choisi ainsi de vivre sans eau ni électricité (il récupère l’eau de pluie et possède deux batteries de voiture). Son petit coin de Robinson est à deux pas du centre hippique, nous ne tarderons pas à lui rendre visite !

Une dernière rencontre mérite d’être notée, celle de Carolina, une anglaise rencontrée chez Vladimir qui nous offrait un délicieux Borshch (une soupe ukrainienne composée principalement de betterave, haricots rouges et viande bouillie). Carolina a commencé par naviguer en bateau –stop pendant de longues années avant de quitter son boulot de graphiste à Bristol pour s’installer sur le bateau que lui a offert récemment un anglais qui n’en voulait plus !

Le voyage à cela de bon, il permet de rêver mais aussi de voir que tout est possible !

Nous veillons aussi à laisser une trace de notre passage...




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vendredi 11 juin 2010

Transat : Marie-Galante (Guadeloupe) jusqu'à Horta (île de Faïal, Açores)

















Quitter les petites Antilles pour le vieux continent, c’est un peu comme s’extraire de la torpeur des tropiques et faire route vers la réalité.
Partir en voilier ne ressemble en rien aux habituels rites du départ. On ne boucle pas sa valise, on ne prépare ni sac ni casse-croûte, on ne salue personne à l’embarquement, on ne présente aucun papiers…
C’est plutôt un déménagement façon manouche, ou une de ses migrations saisonnière que vivent les oiseaux. La seule différence étant que nous partons seuls.


Les récoltes de frais du marché de Pointe à Pitre sont stockées dans les filets, Goudrome est paré de son foc de route, la trinquette est endraillée sur le bas étai et les bastaques sont prêts au poste intermédiaire.
La météo que nous téléchargeons depuis quelques jours est correcte, même si le vent ne semble pas vouloir passer au Sud Est (ce qui rendrait tout tellement plus confortable !).

J’avais établi un programme idéal pour le départ, un peu romantique… (L’apparition du soleil à travers la mangrove de l’île d’Emeraude).
La Guadeloupe ainsi surnommée est une île en forme de papillon, les ailes qui la constituent (Basse-Terre et Grande-Terre) sont séparées par un mince bras de mer, la rivière salée. Mon intention était d’emprunter cette rivière (bien balisée et draguée dans les passes les plus délicates permettant ainsi le passage aux embarcations jusqu’à deux mètres de tirant d’eau) qui nous aurait conduit plein Nord et nous évitant par la même occasion un gros détour.
Le pont de la Gabarre conditionne l’accès Sud de la rivière, il faut s’y présenter feux allumés quinze minutes avant l’ouverture, soit à cinq heures du matin.
C’est là que Laurène intervient et refuse en bloc l’idée de passer la nuit dans la mangrove en compagnie des moustiques.

Ce que femme veut...

Nous envisageons alors un départ depuis l’île de Marie Galante plus au Sud où nous prendrons un dernier bain. Il est 19h, les rayons de soleil orangés éclairent la jolie baie de Saint-Louis de Marie Galante où nous mouillons pour la nuit.

Le dimanche 16 mai, grains et puissantes rafales depuis ce matin, nous avons loupé le bulletin météo diffusé à 11h30 T.U. sur les grandes ondes par RFI (7h30, heure locale).
Laurène me souhaite un joyeux anniversaire sur le ton d’une formalité tant elle est tendue par le départ…
A 12h20, l’ancre est rangée pour de bon, c’est parti pour un calvaire de plus de vingt heures, un chemin de croix ! Il faudra tirer 7 bords de près serré (70 miles inutiles cumulés contre vent et courant, 120 kilomètres !) dans le canal entre Marie Galante et la Désirade pour enfin arriver au vent des îles. Cela sous la pluie battante des grains violents qui s’enchaînent et réduisent la visibilité à zéro.
C’est épuisant, le bateau est trempé, j’ai à peine dormi et la grand voile menace de se déchirer au niveau de l’œillet du premier ris.

Laurène a été malade toute la nuit, elle n’a rien avalé, la communication aussi ne passe pas facilement… Je recolle la voile à poste et réclame ses compétences pour ce qui concerne la couture à faire d’urgence.
La réparation achevée se solde par une petite crise… Cette fois Laurène veut débarquer à Saint-Martin…

C’est l’occasion de citer une phrase d’Igor (un bruxellois aussi surprenant que sympathique qui achève sa dixième année à bord de « miss terre » ; à travers son voyage et des interviews, il s’interroge et interroge le monde sur les rapports humains) :
« La mer et la navigation c’est super, pour ceux qui résistent ! »

L’allure qui rend nos voiles propulsives pour les huit premiers jours est le pré serré : c’est le positionnement de voilure le plus près du lit du vent. C’est aussi le plus inconfortable puisque la houle est généralement orientée dans cette direction et que le bateau gîte (se couche) sous les effets combinés du vent et de la mer (quand la mer se forme, des embruns puis des vagues passent par-dessus bord et inondent le cockpit).
La vie à bord est alors quelque peu chaotique, si Laurène rédigeait cette note la navigation s’apparenterait au cauchemar!

Il n’y a décidément pas de Sud dans le vent d’Est, en faisant cap à 30° compas, on trace une route fond (un cap réel) à 5°, donc presque plein Nord…
Cette route nous conduit aux Bermudes, à un peu moins de mille miles nautiques au Nord. L’option est donc dictée par le vent, nous irons jusqu’à la latitude des Bermudes pour y trouver des vents favorables. En fait la traversée depuis les petites Antilles (d’Ouest en Est) peut être envisagée de deux manières par les bateaux naviguant à la voile. La première qui a pour inconvénient d’allonger la route de quelques 500 miles est celle que nous empruntons, dix jours sont nécessaires pour toucher les vents portants. Ces vents sont assez forts car compressés entre des dépressions bloquées par l’anticyclone qui se trouve entre les deux alizés.
La seconde option est la route orthodromique, la plus courte mais aussi celle des grands calmes générés par l’anticyclone. Partir pour cette option nécessite un bon moteur et des réserves de gazoil conséquentes.
La dernière consiste mettre son bateau sur une gigantesque barge et se délester de dix mille euros…

Embarqués par le vent et la mer qui ne cesse de gonfler, nous sommes très satisfaits du petit foc et des deux ris dans la grand voile qui suffisent amplement à pousser les limites de Goudrome. Le septième jour, nous parcourons plus de 150 miles par mer forte et un vent moyen de 35 nœuds.
Le régulateur d’allure (pilote qui fonctionne grâce au vent) est fidèle depuis le départ, il tient toutes les allures impeccablement, cela nous permet de faire des quarts à l’abri des averses, des embruns et du froid qui nous vole un degré par jour !

Et pour preuve, pas un petit café, pas une goutte d’alcool et des menus qui ne pourraient pas porter de nom. J’essaie de préparer des petites choses simples pour que Laurène reprenne goût à s’alimenter mais sans succès.

Le 26 mai, le vent passe enfin au Sud Est, les nuages laissent le bleu du ciel nous parler, le soleil apparaît comme un sourire !
C’est qu’il fait presque chaud aux Bermudes, mais le baromètre a perdu quatre hectopascals et RFI donnait ce matin un avis de coup de vent pour Ridge (la zone « météo » vers laquelle on se dirige, juste au Nord), gloups.
Comme le vent nous a fait le cadeau de passer au portant, nous lofons légèrement pour faire plus d’Est.
Le jour suivant, Laurène est en forme, elle se met à s’agiter de nouveau, elle est vivante ! On profite du calme plat et du soleil pour se laver et procéder à un grand rangement /séchage du bateau (une mini fuite m’a échappé dans les préparatifs et c’est pile au dessus du placard à vêtements, avec les vagues qui balayaient le pont, inutile de décrire le résultat).
La pause est de courte durée, la nuit à avalé le bel astre et le décor reprend le ton de la grisaille. Le vent monte et une série de grain couronne le tout, l’avantage c’est qu’on avance bien.

En virant Est pour éviter le coup de vent, nous nous empêtrons dans une zone de vent variables et de calmes: changement d’amure et d’allure, puis plus rien alors on se bat en affalant, en envoyant le génois léger, etc
Puis vient la réaction de facilité : pas de vent = moteur…
Nous brulons quelques litres de Gazoil, agressons nos tympans puis décidons de poursuivre à la voile, nos réserves de carburant sont minuscules en proportion de la route à parcourir (deux jours d’autonomie pour plus de dix jours restants).
Après tout, si on était pressé on aurait pris l’avion, et surtout pourquoi courir vers la terre puisqu’on a beaucoup de chance d’y passer la fin de nos jours, voir d’y rester !
Là, quelque chose a changé, refuser d’utiliser le moteur pour « gagner » du temps, c’est considérer qu’on vivra mieux et plus longtemps en le consommant tranquillement.

Le 30 mai 2010 (une pensée particulière pour mon frère Nicolas, joyeux anniversaire !), nous sommes quasi immobiles au beau milieu de l’océan, après le petit rituel du bulletin météo, je me prépare tranquillement un petit café italien, auquel j’ajoute une demi petite cuiller de sucre de canne en poudre…
La tasse est bien calée dans le cockpit, à côté de l’assiette où j’ai soigneusement disposé les tartines beurrées et grillées à la poêle.
Comme tous les matins secs, j’ai installé deux coussins confortables sur la banquette où je contemple tout ce qui sépare mon œil et l’horizon.
En portant la tasse à mes lèvres, je découvre mon petit café légèrement trop sucré. Il y a déjà tellement de sucre dans la confiture. Le sucre m’a certainement échappé, pas grave.
Je redescends et mélange mon premier petit café (celui de la tasse) avec le second (celui qui reste dans la cafetière) qui est en général celui qui sert à réchauffer le premier, quand il a refroidit.
Ensuite, arrive le plaisir de la cigarette, je consacre toute mon attention à fabriquer la première de la journée. Si elle est bien faite, et même si elle est trop grosse ou trop tassée, je recommence pour doubler le plaisir.
Enfin, je passe aux petits réglages de voiles. C’est ce qui fait la différence avec une caravane sur roues, la notre est mise en mouvement par la grâce d’Éole. Ma mission consiste à border, choquer, déplacer un point de tire pour la beauté de l’écoulement de l’air sur la toile mais aussi pour préserver le matériel.
Quand le souffle d’air est insuffisant, on se replie sur le spi léger qu’un souffle contente. Une fois de plus, nous quittons la pétole.

La surface de l’océan huileuse repousse l’horizon à l’infini, nous observons longuement une baleine à une cinquantaine de mètres, en commençant par sa lente et puissante respiration, puis son aileron et enfin sa queue gigantesque. C’est la première fois que je vois cet énorme mammifère, je ne me souviens pas en avoir vu dans les zoos parcs océanographiques (il en faudrait de l’eau pour reconstituer l’habitat d’un poisson de vingt mètres !).
Dans le domaine du minuscule, nous découvrons des méduses pas comme les autres. Elles sont colorées et ont une nageoire dorsale qui prend le vent.
La mer calme m’autorise aussi à grimper en tête de mat pour y bricoler l’antenne VHF qui pendouille affreusement. L’intervention se solde par un échec (le câble sur lequel je m’énerve finit sectionné, adieu la communication…jusqu’aux Açores)…mais me permet de repérer un pétrolier qui fais une route parallèle à quelques miles.

Le spi, affalé avant la nuit, nous a porté au-delà du 35° Nord. Suffisamment pour toucher des vents plus forts. Le temps change progressivement, ça monte une journée puis ça retombe un peu avant de décoller. La mer devient musclée, forte à très forte, les vagues qui écument nous font atteindre des vitesses inespérées. Des paquets d’eau remplissent le cockpit et vont parfois jusque dans la descente. Avec les embruns qui volent à la crête des vagues, notre cocon est à nouveau trempé. A deux reprises, je sors sans bottes ni ciré et me fait rincer de la tête aux pieds…

Le 3 juin, nous sommes escortés vers le soleil qui enflamme l’horizon par un groupe de dauphins. La mer est démontée, nous prenons un petit déjeuner dont l’ingrédient principal est le mouvement. Laurène assise en face de moi dans le carré, la jambe droite tendue à 90° en guise d’appui, me regarde en cherchant naturellement à conserver la verticalité.
Son buste est un balancier au milieu duquel sont réunis ses bras qui créent un second mouvement d’équilibre, qui consiste lui à maintenir un bol de céréales recouvertes de lait à l’horizontale.
Ce spectacle est complété d’un son étourdissant venant de l’extérieur mais aussi produit par d’un tas d’objet balancés. La vaisselle danse dans les placards, les brosses à dents s’embrassent dans un verre, le linge qui sèche crée son propre vent, …
C’est très divertissant tout cela, on éclate de rire en imaginant cette scène jouée sur les planches : des types à l’extérieur pour secouer l’embarcation et agiter voiles et gréement, d’autres pour jeter des seaux d’eau sans relâche, le bruit de la mer, les objets qui vivent et qui nous échappent sans cesse, la démarche et les appuis des personnages ( version une ou deux mains occupées)…

Ce moment de loisir est suivi du point journalier qui nous indique clairement une route trop Nord, nous devons empanner.
Par vent frais, la manœuvre est délicate, (cela nous a déjà coûté quelques coulisseaux) la voile peut claquer violement lors du passage d’un bord à l’autre.
Vêtus de nos bottes et de l’intégrale « au sec », les gilets attachés aux lignes de vie, nous ramenons la bôme vers l’axe du bateau avant d’abattre légèrement pour passer d’une amure à l’autre.
Malgré toutes les précautions, la voile se déchire sous nos yeux en un éclair. Catastrophe, je suis au pied de mat pour affaler avant d’avoir cligné des yeux. Elle est rapidement ferlée et nous constatons l’étendue des dégâts, une couture oblique a cédé sur plus d’un mètre entre les ris 2 et 3, les renforts ont protégés la chute, ouf c’est réparable !
La mer grosse et la pluie nous contraignent à attendre le calme pour opérer.

Nous déposons la grand voile dès 5h le lendemain, juste avant un grain !
La première étape consiste à réassembler parfaitement les toiles séparées à l’aide d’une colle bi-composant, la seconde est une longue punition de couture pour Laurène.
Elle le prend plutôt bien finalement, aidée par un coffret de « compact disc » lu que lui avait offert son gentleman de patron : « Le bateau ivre » de Rimbaud. La programmation est minutée au point près, Laurène achève l’atelier vers midi, au bout du dernier mot.
Cette opération est de loin ce qu’on a fait de mieux sur Goudrome depuis le début, Jean-René nous pardonnera la déchirure en constatant que cette réparation est en définitive le point le plus solide de la voile.

Goudrome privé de sa grande aile pendant plus de douze heures accuse le coup, maintenant que la bonne brise nous a quittés, le baromètre grimpe…
Nous goûtons alors au calme légendaire produit par le célèbre anticyclone des Açores, son évolution est un peu la clef de voûte du système météo en atlantique Nord. Sa position et ses mouvements affectent et régulent directement les dépressions, et donc la pluie ou le beau temps sur l’ensemble de l’Europe.
C’est passionnant d’étudier la météo, avec des observations locales, le baromètre, et le bulletin quotidien donné par zones, on peut se faire des représentations graphiques sur l’ensemble de l’océan.

Les nuits sont plus humides à ces latitudes, plus fraîches aussi. Mon père en nous rendant visite nous a laissé une flûte et un bouquin d’astronomie. La flûte à bec n’a eu aucun succès ; actuellement à bord du voilier « Quique en Grogne » dans les mains d’une petite Tessa, elle doit exaspérer ses parents qui devront la supporter jusqu’en Nouvelle Calédonie.
Pour ce qui est du guide du ciel, il m’a permis de découvrir les fondamentaux (localiser l’étoile polaire, c’est pratique pour voir le reste), de nommer et de comprendre mes observations précédentes. En bateau nous sommes loin des terres polluées de lumière, il n’y a aucun obstacle à l’horizon, c’est vraiment idéal.
Les observations les plus intéressantes ont lieu actuellement juste après le crépuscule.
Par exemple, Vénus (l’étoile du berger) qui apparaît dans le rose de l’Ouest un peu avant le coucher de soleil, elle est la plus lumineuse mais aussi la dernière à disparaître à l’Est.
Puis ce sont toutes les constellations qui s’illuminent (les noms, venant de la mythologie grecque, mais aussi du latin et de l’arabe ne sont pas moins magnifiques que leur éclats).
La lune arrive pour sa ronde en belle reine de la nuit, un peu plus tard.
Cela laisse un délai de nuit noire qui offre le spectacle le plus riche à l’œil nu. Outre les étoiles et les comètes, cinq planètes sont visibles sans instruments. Mars en tout cas est facilement reconnaissable par sa couleur rouge.

Lors de mon premier quart de nuit, à bord d’Harmattan, Fred me cédait la barre avec quelques recommandations. Le voilier entre mes mains fonçait à toute allure vers les îles Silly.
C’est impressionnant de glisser sur l’eau dans l’obscurité absolue ; les sons, l’odorat et la peau augmentent leur capacité de réception et envoient autant d’informations que le feraient nos yeux. Je n’ai aucune idée du nombre de nuits passées en mer depuis mais le temps et les sensations sont tellement différentes à présent que la nuit ne sera plus jamais comme avant.

Etre à deux (en couple), partager une longue navigation hauturière, c’est accepter de baisser la garde, d’être soi-même pleinement mais aussi avec l’autre dans l’absolu.
Ainsi, Laurène et moi sommes quotidiennement disposés l’un pour l’autre, une tendresse toute particulière est née.
Goudrome nous plonge hors du temps (on aurait pu vivre exactement la même traversée, dans les mêmes conditions il y a vingt ans), loin du rythme effréné lié au progrès, loin des influences néfastes de la publicité, de l’information immédiate qui rongent les esprits.
Si la bagarre en mer peut durer plus d’une semaine, le calme nous attend toujours derrière avec un chapelet de plaisirs à revisiter.
Alors que je suis comme une antenne au vent sur le pont, Laurène est un récepteur décodeur confortablement lové dans une couchette, sur le chemin d’un grand nombre d’écrivains (pas un jour ne passe sans qu’elle inscrive la position géographique au dos de la couverture du bouquin qu’elle achève !).Les rêves sont au cœur de nos préoccupations, nous imaginons des réalités, bâtissons des projets utopiques et projetons tout cela dans l’environnement que nous avons laissé. Le temps se promène dans nos jardins, des souvenirs forts jaillissent, nous discutons sans nous lasser.

Le rêve les plus cher, celui qui nous habite aujourd’hui est de rallier l’archipel des Açores à la voile. Le 10 juin nous sommes presque au but, à l’aube il est 2h30 du matin à bord (pour des questions pratiques la montre chinoise que nous acquîmes dans les rues de Pointe à Pitre resterait à l’heure des Antilles pour la traversée).
Soixante-dix huit miles restent à parcourir, ça sentirait l’arrivée de nuit… si le vent n’étais pas de secteur Nord Est.
Voilà maintenant deux jours qu’il ne bouge pas de ce secteur, notre cap accuse le coup, au près serré nous ne faisons guerre mieux que 120° alors que la route réclame 90°.Trente petit degrés qui coûtent à un cap qui devient vite Nord Est. Nous louvoyons (passons d’un bord à l’autre : 120°/20°compas) en subissant un courant de secteur Nord Est, la brise de plus en plus faible limite notre allure, la journée s’achève sur des bords qui s’annulent et le nombre de miles parcourus est ridicule.
Pas de quartier pour nos oreilles, mais aussi pour notre projet de tout boucler à la voile, c’est parti pour la chanson des trois cylindres !

La dernière nuit est nuageuse, une légère bande à peine lumineuse se distingue sur l’horizon quand la pupille est à son comble. A partir de 40 miles nautiques (environ 75 km) nous repérons clairement le halo de lumière provenant des îles Faïal et Pico.
L’étrave de Goudrome divise la houle de face et retombe dans un rythme harmonieux, chaque appui génère un sillage vert fluorescent qui naît à la proue et s’élargit jusqu’au cockpit. La mousse d’écume argentée parsemées de boules et d’éclats verts fluorescent dépasse de loin toutes les illuminations de plancton vues jusqu’ici !
L’hélice ferme la marche en produisant un couloir étroit, une prairie lumineuse sur vingt cinq mètres.
Nous sommes bouche bée dans le cockpit, ce phénomène est dû à la densité du plancton qui croît avec les courants ascendants et qui apportent des minéraux des profondeurs.
Sur bâbord, à une dizaine de mètres, là où l’écume de notre sillage s’efface dans le noir surgit une tâche gigantesque sous forme d’un ciel étoilé …
Eblouissant, magique mais aussi déconcertant, est-ce un banc de poisson ou une baleine ?
Les baleines sont nombreuses autour de l’archipel, certainement grâce au plancton, je dégluti en silence en priant pour ne pas toucher une baleine qui dort.

Le 11 juin 2010, nos yeux découvrent la tant convoitée terre de Faïal, après 25 jours de mer nous touchons presque à nouveau l’Europe et c’est le Portugal qui nous accueille.
Nos cœurs sont serrés, nos jambes fourmillent, une bière fraîche et un repas chaud nous ferons le plus grand bien !!

On vous embrasse
Xavier

PS : Même si j'ai toujours (re)douté cette traversée (comme toutes), je n'ai mis à exécution aucune des menaces de débarquement, et grâce à la volonté (l'acharnement?) de Xavier, je suis aujourd'hui très fière de l'avoir faite. J'ai vomi (vous me prenez pour qui ?) mais avec le peu de recul dont je dispose, je peux même dire que je l'ai appréciée à sa juste valeur avec la sérénité dont j'ai manqué à l'aller.
Des bisous
Laurène

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