samedi 20 mars 2010

Pani pwoblem en Martinique

Au mouillage de Sainte Anne




Cap Ferré
L'anse Blanche
Près des jardins de Balata
L'anse Noire
En haut du Mont Pelé

Le Marin est l’endroit idéal pour bricoler, après de longues retrouvailles arrosées, nous reprenons entretien et réparations diverses.
Le moteur est rapidement réamorcé, le spi réparé, tous les organes mécaniques nettoyés et graissés.
Mon père (qui nous rend visite pour dix jours) sera rapidement mis à l’épreuve, notamment pour le démontage de l’étai. L’étai est le câble avant de maintien du mat autour duquel est passé le système d’enrouleur du génois.



Une fois désolidarisée de l’ensemble et nettoyée, j’emmène la pièce qui pose problème chez Daniel (un soudeur qui avait ressoudé une coque endommagée quelques jours plus tôt), je trouve un type charmant dans la seule habitation après le cimetière, il m’invite à m’asseoir et observe avec beaucoup d’intérêt ce que je décroche de mon porte-bagages.
Nous bavardons longuement de ses différents métiers depuis la fin de ses activités d’entretien pour le compte des sociétés de charter basées au Marin.
Les sujets passent de l’histoire à la politique sans oublier la famille, les langues se délient d’avantage encore quand je revendique ma nationalité.

Sa femme est fleuriste, lui transporteur de produits du bâtiment dans les coins reculés à l’aide d’engins tout terrain, mais aussi éleveur (il y a des poules et des chevreaux que nous attrapons par les pattes pour les repasser à travers des barreaux définitivement peu adaptés à leurs gabarits). Daniel produit aussi du charbon de bois dans un four de sa facture.
Le soleil est rouge quand Daniel m’apprend qu’il ne soude pas l’inox, c’est son neveu Gilles qui vit à Rivière Pilote qui accepte le boulot par téléphone.

Le lendemain midi la pièce est prête, Gilles m’accompagne pour visiter Goudrome et j’en profite pour lui présenter toutes les personnes susceptibles de lui offrir du travail, la sauce à l’air de prendre, il reviendra le lendemain avec ses outils pour quelques petites soudures, et pour déposer des devis chez ses futurs clients.
L’étai est sur le ponton, la situation est idéale pour vérifier chaque détail (l’usure, les rivets d’assemblage) ; cinq personnes et beaucoup de matières grises seront nécessaires pour replacer ce fragile ensemble reliant l’étrave à la tête de mat.
Mission accomplie, malgré le grand âge du roulement, la voile d’avant s’enroule à nouveau parfaitement.

Mon père s’acclimate doucement, il commence aussi à prendre des repères à bord : voici un extrait d’e-mail relatant ses premières impressions :

-« Depuis 3 jours je me soustrais aux rayons d'un soleil cuisant...
J'ai les mains, avant-bras, crâne, nuque et pif rouge vif! Brûlures...
Nous avions été nous baigner samedi sur l'îlet Chevalier. Endroit paradisiaque et réserve naturelle. Baignades répétées. On n'a même pas besoin de se sécher avec une serviette.
Le lendemain, départ à 07 H pour rebaignade dans une anse déserte
Je n'avais pas pris de mesures préventives avant la première soirée me disant que je n'avais jamais eu de vrai problème de cuisson même en planche.
Ici, il me faut éviter de sortir après 11 H jusqu'à 16 H.
Xavier m'a refilé un pantalon africain long et ultra léger et je porte casquette voire large chapeau de paille, outre une chemise à longues manches.
Paraît que je devrais même garder la chemise pour me baigner...!
Quant à mon crâne, il accuse un découvert vulnérable et des contusions multiples survenues lors de mes passages sous la casquette (celle du bateau!).Je fais du vélo dans la marina pour admirer tous ces beaux et grands bateaux. Beaucoup de Cata à usage de charter sur lesquels embarquent par compagnie des marins d'eau douce blancs comme des navets.
Leur aspect va aussi changer très vite...
…/…
Il faut réparer l'enrouleur de voile avant.
Hier Xavier est monté au faîte du mat pour déposer l'étai et le fourreau du foc.
Nous l'avons aidé à déposer les 12 m de l'enrouleur de génois... pas simple et résultat non garanti car il faudra le hisser et remettre en place après soudure.
Tout cela par 32 ° et en plein soleil.
Hier soir il faisait 34 ° dans le carré (cabine).
Goudrome ne cache pas son âge mais est spacieux et a beaucoup de charme. (…)
Laurène a longuement briqué le plancher d'accès. Xavier a démonté et entretenu les winchs. Ils ont toujours à faire en entretien. »

Bienvenu dans le monde de la plaisance, après avoir goûté à la température de l’eau et s’être fait doré sur le vélo (ou en accompagnant Louis dans la réalisation d’une solide échelle de pont), nous appareillons tout en douceur pour une semaine de découvertes Martiniquaises.
Une série de mouillages ou escales (Sainte-Anne, le rocher du Diamant, les Anses d’Arlets) lui rafraîchissent la mémoire sur les joies de la navigation : le silence du vent dans les voiles, l’observation du ciel la nuit.

A travers le verre des masques qui se transforment en lentilles de microscope, nous observons les nombreux habitants du récif corallien.
Quelques mètres d’eau suffisent pour apprécier en apesanteur l’immense diversité des fonds, éponges vases oranges et tubulaires jaunes, minéraux qui seraient à eux seuls l’inspiration d’une vie d’artisan potier. C’est aussi un grand potager, il y a d’énormes Gorgones éventail qui seraient des feuilles de choux verts géants animés par le léger ressac sous marin, un décor à très grande échelle tantôt verdoyant comme une pelouse sauvage, tantôt structuré de pierre posées pour générer des labyrinthes où se cachent les centaines d’espèces de poisson colorés dont les noms évoquent la curiosité : « Sergent Major », « Chirurgiens », « Cardinal Marignan », « Soleil Juif » (poisson rouge aux yeux énormes, délicieux !).

Evidemment cette magnifique nature s’organise pour compliquer la tâche des chasseurs que nous sommes. Nos règles improvisées sont simples, une flèche tirée chacun par plongée (nous sommes équipés du fusil sous marin de Jean-René super difficile à réarmer).
Mon père qui s’organise pour pouvoir respirer sous l’eau provoque des crises de rires, le masque plein de buée, il se débat comme s’il était déjà en noyade au moment de passer le tuba dans la lanière du masque.
Lors de la première approche, il me prouve qu’il n’a pas perdu la main, il tire un poisson trompette (poisson allongé et très plat dont la bouche serait le seul point commun avec l’éléphant), pour ma part je reste bon dernier en manquant ma cible.
Par contre je me précipite dans la préparation d’une marinade dont la base est le pamplemousse, auquel j’ajoute piments et miel, le repas est léger et nous apprend que ce poisson est bourré d’arrêtes fibreuses (comestibles).

Le cap est ensuite mis sur Saint-Pierre, une charmante petite ville dominée par un étonnant relief. Elle est appelée « le petit Paris des Antilles » en mémoire de ce qu’elle fût par le passé, un grand centre culturel et économique. Ceci avant l’incroyable et dévastatrice éruption du volcan de la montagne Pelée en 1902 qui lui valu la disparition des cartes pour plus de vingt ans.
L’histoire cette fois nous sera racontée par le fils d’Emilie, trouvé dans les rayons de sa petite boutique de souvenir, rue Victor Hugo. Le garçon d’une quarantaine d’année est artiste peintre et aide accessoirement sa mère, qui accuse un certain âge mais dont les talents de vendeuse ne sont plus à faire.
Derrière le comptoir, dans la bouche du passionné et dans les livres qu’il collectionne, on trouve un tas d’anecdotes qu’il illustre en tournant les pages. Destin touchant, pèlerinage poignant, le guide nous prend par la main et nous ouvre les yeux sur une sombre réalité.
Trois siècles de construction, un théâtre, des consulats aux jardins botaniques en passant par le millier d’habitation, soufflés en un instant, les corps photographiés figés en disant long sur la surprise.
Aujourd’hui Saint Pierre, toujours en reconstruction, a conservé une odeur, une poésie unique. La circulation se fait du Nord au Sud et en sens unique le long de la rade, du marché en ossature métallique à la magnifique maison communale reconstruite. Dans la rue parallèle on circule dans le sens opposé, on y trouve des maisons antillaises colorées et en bois, des vestiges et autres riches bâtiments de pierres aux jolies persiennes, aux balcons de fers forgés autour de la cathédrale et devant de magnifiques jardins.
Pour nous navigateurs, le mouillage est rendu délicat par la dizaines d’épaves gisant par des fonds qui passent très vite de 25 à 5 mètres, on est loin des plages cartes postales mais ce sera l’escale verte, nous débarquerons aussi pour une randonnée ambitieuse : l’ascension du plus haut sommet de la Martinique (1300m).

Philippe (de Kirha) nous rejoint pour l’occasion, on se lève à l’aube pour avoir une chance d’échapper au soleil sur les flancs très exposés de la montagne mais c’est un raté, c’est à croire qu’on ne sait déjà plus ce que signifie « être pressé ». Nous trouverons malgré tout un transport assez facilement en interrogeant un homme (plusieurs choses nous laissaient penser que ce serait un calvaire : pas de transport le dimanche doublé du premier tour des élections régionales).
Pas de souci, Maurice nous charge dans son Pick-up et nous emmène gentiment à une dizaine de kilomètres en passant par les petites routes en forêt tropicale où pour le grand plaisir de Laurène invitée dans la cabine, il fait le descriptif détaillé de ses activités d’agriculteur.
C’est que, nous ne l’apprendrons que plus tard, il a fait tout un détour pour montrer son exploitation à Laurène, pas moins passionnée par ses élevages que par ses cultures écologiques de fruits et légumes.
Le parcours est très escarpé (nos muscles s’en souviendront), mais le résultat vaut vraiment la chandelle. Nous pique-niquons dans le ciel avec pour dessert une vue imprenable sur la côte Atlantique et la Mer des Caraïbes.

Ce petit périple nous conduit aussi aux quatre coins de la table Créole, les dégustations de Rhums sous toutes les coutures se poursuit (les Trois Rivières, « redresse zizi et clicli », punch et autres rhum vieux classiques sont oubliés pour faire place aux stars locales : des maisons sérieuses produisant du blanc agricole pour la composition du Ti punch parfait.
Cet alcool est une drogue dure, on observe ses ravages depuis le Cap Vert, je n’y trempe les lèvres qu’après le coucher de soleil et alterne avec la bière locale « la Lorraine » (c’est drôle, mes deux garde-fou portent le même nom !).

Côté cuisine, cela commence dans la rue. En France métropolitaine on a des poulets à chaque carrefour, ici ce sont des poulets boucanés à chaque rond-point.
Autre constat concernant ces volailles, depuis notre arrivée en Martinique, pas un levé du jour n’a été vécu en silence, il y a des coqs partout. On les entend au port, au mouillage, en ville, à la campagne. La vielle tradition des combats est toujours un loisir apprécié, il y a même des versions mangouste contre serpent.
Il y a aussi les épices qui collent à la peau, je commence à transpirer le colombo.
La premier modèle de ce plat nous a été concocté par Jean-Michel, j’ai tellement apprécié que j’ai eu du mal à laisser les os (la peau, les nerfs avaient disparus), depuis on a dégusté la variante poisson et cabri, même résultat !
Autre ingrédient qui pourrait rivaliser avec l’appétit (qui est ce que l’on a de meilleur pour honorer un plat) : le piment.
Le souvenir de la douleur est un fantôme quand on parle des sauces pimentées qui sont absorbées avec la grande variété de délicieux accras, mes préférés restent les simples accras de morue.
On découvre aussi un tas de préparations à base de coco, gingembre, fruits. Que dire des fricassés de « chatrou » (poulpe) et des langoustes grillées…
Laurène s’est rapidement imprégnée de tout cela et nous retrouvons par magie dans notre assiette tous les ingrédients du marché. Sa dernière création se composait de la banane plantain associée aux ignames (marinés au coco et anis étoilé), et à une fricassée de crevettes aux oignons verts et gingembre. Aussi beau que bon !

La dernière navigation pour mon père approche, nous devons rallier la baie de Fort-de-France pour y trouver le lendemain un « taxi-co » qui le déposera à l’aéroport du Lamentin.
Cette navigation sera comme un cadeau des Antilles, à moins de deux miles des côtes, des centaines de dauphins jaillissent des deux bords dans une théâtralité que même son appareil photo n’a pu capturer. Dans la distraction, je perds ma vigilance, de sorte que le grain qui suit la récréation crée une seconde surprise, moins agréable !
Nous approchons à la voile et en silence l’Anse Mitan, sous les étoiles et par un souffle de brise. C’est « l’amiral papa » qui tient la barre et le cap alors que Laurène observe les bouées de la proue.


Pour boucler ce petit chapelet de mouillages forains en Martinique, Laurène et moi choisissons la petite anse Dufour. Goudrome flotte par 5 mètres de fonds blanc.
Cette anse offre une bonne protection, on y trouve pas plus de maison que de yoles de pêche, c’est simplement paradisiaque. On se réjoui d’être le seul voilier, ils sont tous dans la baie voisine (l’anse noire, qui illustre un phénomène géologique singulier : deux plages de sables aux coloris opposés séparées par une simple langue rocheuse).
Nous rencontrons quelques pêcheurs chez « Marie-jo » et participons aux débats sur les régionales, la télé locale présente les trois candidats pour le deuxième tour, c’est un peu comme la coupe du monde de football !
Narcisse et son cousin nous racontent aussi les techniques de pêche dans la région, l’une d’entre elles est ancestrale, « la senne ». Elle consiste à envoyer un gigantesque filet sur la largeur de la baie…
Nous les quittons rapidement en comprenant que les pêcheurs se donnent rendez vous avant l’aube le lendemain. Cela ne manque pas, vers cinq heures, un pêcheur sonne le Lambi (un énorme coquillage, très bon en brochette) en guise de trompette.
Narcisse nous avait mimé la petite mélodie du lambi et se proposait de nous éveiller avant le coup de clairon mais nous avions choisi de manœuvrer au lever du jour.
Je suis physiquement sur le pont en quelques secondes grâce au capot de la cabine avant par lequel je bondis et observe la scène sans rien y comprendre…
Les coqs chantent dans la montagne, deux yoles viennent du large, quelques personnes sont rassemblées sur la plage mais il ne se passe rien.
La senne nécessite un nombre suffisant de participants, je suis aux premières loges mais le spectacle est reporté.

Voilà, nos premiers pas aux Antilles, ces îles qu’on a appris à désirer.
La Martinique est comme un jardin vivant et merveilleux, le soleil et l’alizé composent un climat tropical qui habille les flancs de ses terres volcaniques.
Ce département est un pays, son cahier regorge d’histoire, les difficultés politiques et économiques se décodent au quotidien. On ne peut pas oublier ce que la nature humaine a instauré sur ces terres.

Nous sommes de retour au mouillage du Marin pour quelques bricoles et quelques jours. Notre prochain cap : les Grenadines…

3 commentaires:

  1. Avez vous croisé Robinson et Vendredi???

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  2. Thanks for the post! Very nice pictures you have here aswell! Are you in Grenadines allready? i just arrived some hours ago to st martin.. saw some nice places on the way, i especially liked dominica.. Take care good luck have fun!! best regards Henrik

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  3. Bravo, superbe texte vraiment raffraichissant a lire.

    Gros bisous les poetes.

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