jeudi 8 avril 2010

Grenada - St George bay

Vendredi 19 mars.

Le retour au mouillage du Marin est une navigation particulière, un peu comme une lutte.
Passée la pointe du diamant, la houle se lève et se couple au vent, qui comme le courant, porte à l’Est. Aller vers l’Ouest dans ces conditions n’est pas chose agréable, nous tirons des bords, pendant cinq heures appuyés au moteur pour se traîner à 3 nœuds!


C’est qu’on les aime nos amis restés au Marin et on ne pourrait pas partir sans les saluer.Dès l’arrivée, nous contactons Kayok via la V.H.F. et à notre grande surprise, c’est Valérie et Olivier qui répondent (ce que nous apprendrons plus tard c’est qu’ils nous parlaient depuis Kayok où ils passaient par hasard)

Nous retrouvons aussi Philippe de Khira, et de nouvelles têtes comme Giovanni (un italien qui a vécu une traversée difficile humainement, recueilli à tour de rôle depuis son arrivée par deux bateaux amis)
Le lendemain nous déjeunons en bonne compagnie sur « Ile de Ré » avant de partir pour une plongée bouteille sur le récif corallien de Sainte Luce.
Le groupe hétéroclite que nous formons crée des situations loufoques sous l’eau.
Alors que je tente de stabiliser les embardées que je fais de haut en bas, Olivier s’amuse à nous piquer les palmes, Louis me tombe dessus et vice versa, à mourir de rire !

Chaque jour l’océan nous amène de nouveau bateaux, avec les anecdotes de ses équipages.
C’est le cas de Guam (des amis de Mindelo : Thomas, le capitaine ; Basile, Elouan, deux suisses, et Rico qui avait quitté Khira pour apprendre l’accordéon) qui arrivé trop au Nord, contre courant et sans Gasoil, n’avait eu d’autre alternative que de contourner l’île avant d’être bloqués de nuit par un bout dans l’hélice qui les contraignait à mouiller à l’aveugle à quelques encablures du but.
Nous les retrouvons la nuit sur un coin de ponton où ils organisent la redistribution de l’équivalent de deux caddies de supermarché, butin récolté dans les poubelles de deux grandes enseignes. On commence à s’accommoder de leurs pratiques, un jour ce sont des kilos de thon en conserve, des dizaines de boîtes de thés, fruits, etc. Ce soir là, la thématique est plutôt fromage.
Une occasion saisie par Philippe qui organise un « dîner ponton » tartiflette par 30°. Soirée très agréable où se mêlent une fois de plus les styles et genres. J’adore la vie de marin rien que parce qu’on ne fait pas de manières.
Ainsi, un chef d’entreprise (accessoirement propriétaire d’un Hanse de 60 pieds, une barque de loisirs qui ne coûte pas moins de 700 000 euros) vient pousser la chansonnette avec des jeunes qui pratiquent le didjeridoo et l’accordéon.
Le clou du spectacle réside dans le fait que cet homme ne nous cache pas les dizaines de déboires rencontrés avec ce bateau neuf, il finit par nous avouer que les seules choses vraiment fiables à bord sont la machine à laver et le lave vaisselle provenant de chez Darty.

Pour boucler cette étape, la veille de notre départ, Léo est de retour. Louis l’emmène en annexe à notre bord. Il pose ses sacs « comme à la maison » et nous raconte ses aventures martiniquaises.
Une heure avant l’appareillage, l’équipage est au complet.
Basile qui avait passé la nuit avec nous embarque pour le Sud, même destination que Léo : le Venezuela.


Nous traversons le Canal de Sainte Lucie, un peu agité, et arrivons sous une demie lune à Rodney Bay.
En général, c’est magique de découvrir une île au petit matin mais là personne n’est conquis.
Une embarcation surprenante approche, sous un nombre incalculable de pavillons mélangés à d’énormes feuilles de cocotiers, on imagine une barque. De cette barque mise en mouvement par un bruyant mais pas très efficace engin , proviennent des sons de klaxon (genre Lambi). Un homme nous fait de grands signes, il nous tend un bout que nous attrapons volontiers au vu de sa cargaison : des fruits ! Après nos emplettes (corossol, mangues), nous hissons les voiles jusqu’au vieux fort, plus au nord dans la baie, Laurène nage jusqu’à terre pour se voir gentiment accompagnée jusqu’au rivage faute de ne pas s’être acquittée d’un montant correspondant à l’entrée dans la réserve.
Quelques heures plus tard, nous entrons à la voile entre les bateaux mouillés de part et d’autre de l’étroit chenal de Marigot Bay. L’endroit est merveilleux mais réservé à une certaine clientèle, j’avais presque oublié que nous étions en Amérique…
Un Zodiac de la marina arrive en trombe en pensant qu’on a un problème de moteur, il semble surpris de trouver chacun à son poste complètement détendu.
Pour notre part, nous ne sommes pas surpris d’apprendre que nous devrons mouiller au chausse pied entre deux gros voiliers et autres cailloux car tout l’espace est quadrillé de bouées payantes.

Nous approchons vraiment la terre de Sainte-Lucie par l’anse la Raye, pas un voilier à l’horizon. Voilà plus de 48 heures que nous n’avons pas vraiment marché, nous entrons dans un magnifique village de pêcheur.
Simple et authentique, les gens nous regardent comme des bêtes sauvages et nous leur rendons bien, il y a un fameux décalage entre le niveau de vie ici comparé à l’île voisine, nos arrêts précédents n’étaient que des façades.
Les contacts sont automatiques, comme partout les fous d’abord, puis les vendeurs de ganjas pour finir par des gens plus équilibrés qui nous indiquent où se trouve Basile, disparu dès les premiers pas ( Basile est un gars de la montagne, plutôt sauvage). La personne suivante qui marche à côté de nous, sans autre but à priori que d’entrer en communication est un blanc.
Il s’appelle Sylvain, un garçon de 27 ans en mission sur place pour rétablir l’eau potable dans le village.

Il travaille seul et embauche des locaux pour la restructuration de la station d’épuration plus haut dans la montagne.
Nous dînons ensemble dans un lolo puis il nous emmène vers son véhicule de fonction, un beau 4X4 qui nous conduit dans l’obscurité à travers des routes de montagnes vers une cascade.
A peine sorti du véhicule, nous plongeons dans l’univers magique de la forêt tropicale. La bande sonore est indescriptible tant ce monde est différent de la mer, les phrases des grenouilles se superposent à celles des grillons, au loin on distingue le bruit de l’écoulement de l’eau.
La magie est immense, des centaines de lucioles apparaissent furtivement, nous pénétrons dans la forêt par un petit sentier en contrebas, évidemment nous ne sommes pas équipés pour la sortie, nous n’avons pas plus de chaussures que de lumières.
L’expérience est savoureuse, chaque pas en claquette sur une feuille, une racine ou une pierre nous confirme la nature des éléments détectés par l’odorat. Mes mains deviennent des capteurs en trouvant des appuis sur la mousse sèche ou humide.
Nous traversons la rivière une première fois, croisons les gigantesques feuilles de bananiers, escaladons quelques roches et le ciel apparaît dégagé de toute la voûte végétale, il y a quelques étoiles, des petits nuages mais surtout la lune qui illumine la magnifique cascade.
Le bruit est infernal, l’eau ruisselle le long des roches, nous nous déshabillons et plongeons dans le premier bassin.

Nous ne nous attardons pas d’avantage à Sainte Lucie parce que nous sommes toujours sous pavillon jaune (en attente de formalités, la règle veut que l’on se déclare aux douanes et à l’immigration dès l’arrivée, des heures de paperasses et des horaires souvent contraignants pour l’entrée et la sortie).
L’escale suivante est Amiral Bay, au Sud Ouest de Bequia. Cette île est la première île des Grenadines (elle dépend de Saint Vincent que nous longeons de nuit).
Une fois de plus, le courant est contre nous. Déventés par le relief des deux pitons, nous dégustons quelques heures de quart bercés par la mécanique avant d’être secoués au prés serré dans le canal.
L’entrée dans la baie est sportive, nous tirons des bords avec deux ris dans la grand voile pour tenir de fortes rafales.
Une barque de rasta qui ressemble plus à un dragster nous approche pour nous indiquer une bouée (nous refusons). A défaut de construire des marinas, ces locaux vous proposent des corps-morts privés souvent médiocres ; des langoustes, lambis, glace, pain, etc. (ceci à un prix qui ne cessera d’augmenter tant que les clients américains paieront).
Imaginez une baie magnifique munie d’un parking Vinci, le quadrillage étant ici matérialisé par des bouées suffisamment proches pour rendre impossible le mouillage libre sans encombrer l’évitage.
En mouillant au mieux, on se retrouve à faire des compromis entre la longueur de chaîne pour l’évitage et la sécurité, je plonge donc systématiquement pour vérifier la bonne tenue du mouillage.
Pareil à terre, chaque bout de plage est grignoté par les restaurants et autres établissements où se prélassent des gens qui doivent à tout prix rentabiliser leurs courts séjours. Dans ce contexte, la qualité des échanges est limitée, « les vaches à lait » alimentent le commerce exclusivement aux riches, et donc aux blancs.

Nous décidons de nous plier aux règles de clearance pour poursuivre sereinement notre séjour dans les Tobago Cays, minuscules îles dépendantes des Grenadines, et assistons à un racket organisé ! En plus de la taxe pour chaque individu à bord, nous payons un supplément motivé par l’absence du propriétaire du bateau à bord ?
Cette journée est vraiment une invitation au départ, je branche mon P.C. sur le 110 volt d’un petit centre Internet et mon alimentation explose…

Dès l’aube, nous hissons les voiles et faisons cap Sud Ouest en laissant un chapelet d’îles sur bâbord. Notre destination sera atteinte à l’heure du déjeuner, Maho Bay est une crique entourée de coraux au Nord de Canouan. Nous ancrons très proche d’une magnifique plage déserte et d’un récif pour y faire du « snorkeling». Les fonds blancs se lisent jusqu’aux détails des ondes du sable, plus loin le corail éclate de couleurs.
Quelle réjouissance de plonger nu et de rejoindre une plage vierge sans autre trace de vie qu’une végétation luxuriante.
Ensuite nous longeons Canouan et atteignons Salt Whistle Bay sur l’île Mayreau, à quelques miles au Sud Ouest. Nous trouvons un magnifique refuge pour la nuit, nous slalomons à la voile malgré la proximité et le grand nombre de bateaux (avec trois équipiers performants, une légère brise comble Goudrome) jusqu’à trouver l’endroit idéal.
En général, nous ancrons assez près du rivage pour pouvoir s’y rendre facilement en annexe et en appliquant la même politique « sans moteur ».

Pour la navigation suivante visant les Tobago Cays, un logiciel de navigation ou une carte de détail aurait été très utile voire indispensable mais bon…
Heureusement, un précieux guide de navigation embarqué (grâce aux bons soins de Nicole, charmante tante de Laurène) nous sauve et nous éclaire sur les passes, les hauts fonds, les spots de plongée et nous comble pour toute une série d’informations indispensables.
Le passage à la voile est délicat entre Petit Rameau et Petit Bateau, on s’y reprend à plusieurs fois jusqu’à raser les moustaches de la ligne de mouillage d’un petit trimaran (sans chaîne, un bout en tension à peine visible à fleur d’eau a failli finir dans notre quille, nous avons 1,70m de tirant d’eau).
Nous achevons la manœuvre au moteur.
Ce premier avril a un goût de blague, on a un peu de mal à y croire mais Goudrome semble posé dans le vide tant l’eau est claire (position N12°38’11 W61°21’63). La carte postale que j’aimerais vous adresser à travers ces mots ne ressemble à aucune autre. La raison est simple, nous disposons de 360° d’horizons partagés entre cocotier, sable blanc, bleu azur et l’ensemble est parsemé de jolis bateaux.

Nous contournons ensuite le « horse shoe reef » pour aller à la rencontre de Petit Tabac, la plus au vent des Grenadines. Une île déserte et minuscule encerclée de corail, et là nous sommes seuls à contempler le «world’s end reef ».
Pendant que Laurène nous prépare des pommes de terre sautées à la graisse de canard, nos poumons jouent de la cornemuse entre 3 et 5 mètres de fonds.
Le spectacle des Tobago Cays est époustouflant mais c’est déjà vendredi, un autre spectacle nous attend …
Cela se passe à Clifton, un village à l’Ouest d’Union. Nous retrouvons après quelques jours d’isolement une île vivante, avec des bars, restaurants, et surtout le voilier La Loupiotte (www.voilierspectacle.com) qui nous avait déjà fait rêver en nous offrant un spectacle inspiré et poétique au Marin.
En fait nous avions manqué la première partie et la chance (bien aidée par la volonté de Basile qui est clown en plus d’être cordiste) a voulu que nos chemins se croisent de nouveau. Clifton est aussi en pleine effervescence car c’est la fin du carême, trois jours de fêtes consécutifs pour célébrer Pâques. Les hauts parleurs comme les percussionnistes envoient du lourd, du très lourd, le village décoré accueille des centaines d’arrivants de Kingston déversés par le vieux ferry « Barracouda ». Il semble disparaître sous un nuage de fumée de barbecue, les vans de transports Toyota et les énormes Jeep’s arborent des drapeaux et des chromes rutilants. Ils défilent en représentation, comme les gens, en continu le long de la plage.
Léo finit la soirées avec Mc Coy, une connaissance venue en barque de Salt Whistle Bay pour l’élection de Miss Caraïbe.

Ce petit village a plus d’un tour dans son sac, il possède un aéroport, et toutes les commodités comme Internet par exemple.En fait la combinaison des deux est assez inattendue : en discutant avec une canadienne installée sur l’île depuis onze ans (la propriétaire de l’Internet café) et son fils qui bricole des ordinateurs, j’en arrive à parler de mon petit souci d’alimentation.
La patronne se met à la recherche d’un objet qui avait été ramené pour un ami mais qui ne correspondait pas : une alimentation…impossible à retrouver.
Le problème c’est que le fils, disparu depuis quelques minutes est actuellement dans un avion au dessus de nos têtes et il est même le pilote puisque c’est son jouet !
En fait le fils fait des allers et venues inter îles avec son petit coucou presque par plaisir, son avion l’envoie en l’air avec un seul moteur de 180 chevaux !
Trois heures plus tard, le fils retrouve le fameux câble qui correspond parfaitement, mon ordinateur redémarre…

Union est vraiment le dernier endroit où j’aurais pensé trouver du matériel informatique. Sa situation est à l’image de toutes les petites îles des Antilles qui sont dépendantes (à tout point de vue, même les bases vitales : l’eau, les fruits, les légumes, etc.) Dans les Grenadines les légumes, les clopes, les bières sont des denrées vendues à l’unité et en quantité minuscules, les épiceries étalent les produits plutôt que les entasser, il n’y a rien.
Si, il y a des Rastas et de la Ganja partout, il y a aussi des bateaux cigarettes plus rapides que les vedettes de Police avec des moteurs de trois fois 750 chevaux, on se demande vraiment ce qu’ils déclarent…

Nous on a décidé d’être dans les clous point de vue paperasse, on se fait donc arnaquer (avec le sourire)pour la clearance de sortie. Cette fois on paie parce que c’est férié ! Mais nous ne sommes pas seuls à poireauter dans les bureaux de l’immigration à l’aéroport, des Vénézueliens que nous interrogeons nous tiennent un discours à décoiffer un moine sur la violence et la sécurité dans leur pays. Gloups, un bon conseil en tous cas : « il y a tellement de choses merveilleuses à découvrir dans le monde qu’il est inutile d’aller risquer sa vie au Vénézuela actuellement ». Bon, le Bélize et le Costa Rica c’est sympa, non ?

Après une dernière navigation via Cariacou et « Les Tantes », nous ancrons à Grenada.

3 commentaires:

  1. Cela m'a pris une partie de l'après-midi, mais j'arrive à suivre sur google earth. J'ai trouvé le parking vinci, plongé nu dans les fonds blancs qui se lisent jusqu’aux détails des ondes du sable, longé cariacou avec vous. Merci.

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  2. Whaou!!! C'est fantastique vos recits, j'adoooore! Vous avez vu Rico alors? Et Leo a rencontre une Miss Caraibes? Sympa.....
    J'ai adore Basile et Leo a Las Palmas, vous formez une sacre equipe. Moi je viens d'arriver a Toronto, Canada. 11h de bus de NY ce n'est pas grand chose compare aux 5 mois pour rejoindre la Floride : ) Je visite une tres bonne amie et ses parents...
    Ca me fait bien plaisir de lire vos aventures de bateau, ca me replonge dedans, pour moi la traversee fut fantastique, et l'escale a Las Palmas aussi, la ou nous nous sommes tous rencontres ! Mais je suis partie loin sur mon catamaran...
    Gros bisous a vous 2, j'ai hate de vous revoir sur Paris et qu'on se montre toutes nos photos. Ciao ciao
    Lou

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  3. Roselyne et Louis20 mai 2010 à 04:27

    nous sommes en ce moment à Rodney bay prés du fort,et nous avons ètè visités par la même barque pleine de drapeaux,j'ai cru qu'il en vendait,et le lendemain nous nous sommes fait refouler du parc!
    bisous de Roselyne et Louis

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