mardi 27 juillet 2010

La tourada, corrida portugaise, ou l’art de la "festa brava"







De toutes les îles des Açores, Terceira est la seule à avoir conservé intacte la "festa brava" ou la culture du taureau. Les raisons de la naissance de la "tourada à corda" dans la rue et la tourada en arène sont l’abondance de bétail sauvage au cœur de l’île et certainement aussi les origines espagnoles qui furent jadis présentes. Autrefois réservées aux nobles et autres gentlemans de l’aristocratie dont Angra Do Heroismo fut le centre, c’est un spectacle bien démocratisé et très apprécié aujourd'hui.


Une des manifestations principales consiste à lâcher un taureau dans les rues, bien heureusement relié à une très longue corde que retiennent les picadors. Nous en avons vu dans différentes villes et avons pu observer que la bête charge un peu au hasard. Les hommes les plus braves virevoltent autour armés de parapluies, ceux qui se pensent bien planqués sur le toit d’une buvette peuvent être surpris par les bonds dont l’animal est capable, et enfin les touristes comme nous dont la sagesse n’attend pas un coup de cornes courent de manière désordonnée vers un buisson ou le muret d’une maison à proximité.

Il faut dire que depuis leur plus jeune âge, les Terceirense sont au contact de cet animal qu’ils considèrent comme le plus aimé. Ainsi nous avons vu des tous jeunes s’entrainer dans de petites arènes à courir devant des bovillons. Ces derniers, à l’opposé de leurs ainés, cherchaient plutôt à se planquer qu’à utiliser leurs cornes naissantes !

Baignés dans cette ambiance, nous n’allions tout de même pas rater la corrida qui se préparait ce samedi 23 juillet !

Avant de continuer, j’en entends certains penser "ouh, c’est pas bien la corrida", ce qui vaut bien quelques petites explications pour les non-avertis.

Tout d’abord, sur l'ensemble du Portugal (le continent et l’archipel des Açores), une corrida est appelée "tourada", et puis elle diffère de son homologue espagnol dans le sens où le taureau n’est pas mis à mort en public (enfin, ne soyons pas hypocrites, il finira tôt ou tard à l’abattoir, ou dans quelques heureux et rares cas, il finira sa vie au pré en tant que reproducteur).

Ensuite, et c’est bien ce qui m’intéresse ici, la majeure partie de la tourada se passe… à cheval ! C'est-à-dire que depuis un mois, j’ai monté quasiment tous les matins à Faial un cheval Lusitanien dont le dressage impeccable que je peaufinais était destiné à ces fameuses touradas… ainsi les piaffés et autres déplacements latéraux auxquels Arpão répondait révéleraient une part importante de la suite du programme à découvrir dans l’arène.

Cette arène (nommons-la, tant qu’à faire, s’appelle "Praça de Toiros") a été construite en 1984 pour promouvoir et protéger la culture du taureau, lorsque la vieillissante arène de São João a montré des signes de faiblesses.
Elle accueille ce soir quatre jeunes cavaleiros aux sourires ultra-brite : João Moura, Ribeiro Telles, Tiago Pamplona, et João Pamplona, qui rendent un hommage posthume au grand Raúl Pamplona.

Nous rejoignons nos places attitrées, munis de Sagrès et de bifana (tranche de viande de vache bouillie dans un petit pain). Nous observons que les gens sont habillés pour l’occasion, et nous sommes fiers d’avoir nous aussi revêtu une chemise blanche pour Xavier, et une robe pour moi.

Enfin, une porte s’ouvre et laisse fouler le sol parfaitement ratissé de l’arène aux différents intervenants du spectacle dans une hiérarchie qui présente d’abord les picadors, les forcados, les peões (toreros à pied), et enfin les cavaleiros (ces derniers sont acclamés et nous comprenons qu’ils sont de véritables stars ici). Certains tracent une petite croix dans le sable du bout du pied, pendant que les cavaleiros font volter majestueusement les chevaux en saluant les milliers de spectateurs.
Ça va commencer !

Un trompettiste annonce officiellement le début de la tourada, une pancarte tenue par un éleveur annonce la race, la provenance, l’âge et le poids du taureau… 475 kilos, tout de même !Un cavaleiro entre dans l’arène, ainsi que deux peões. Je dois dire qu’ils ont tous fière allure dans leurs habits brodés étincelants. La trompette se manifeste une seconde fois suivie de l’entrée en fanfare (c’est le cas de le dire) d’un taureau visiblement furieux qui se précipite vers ces cibles mouvantes. Le cavalier l’attire, le taureau le poursuit dans une course circulaire et on assiste à une sorte de danse effrénée. Le but de cette manœuvre est de planter les banderilles dans le point graisseux de l’encolure de l’animal. Pour ce faire, cavalier et cheval effectuent de grands exercices de haute-école : piaffés face au taureau, pirouettes au galop, épaules en dedans, cabrioles qui attirent des regards calculateurs du taureau qui prend quelques secondes de repos, pas espagnol, passage, et j’en passe…

Le cheval est par nature craintif et son instinct le pousserait à prendre la fuite devant un tel danger. Le dressage en fait un participant actif de la tourada et la longue tradition équestre portugaise prend ici tout son sens et sa beauté technique.

On sent clairement la jeunesse et la fougue du cavaleiro grisé par les acclamations, qui ne cesse d’éperonner son cheval et enchaîne les figures avec une rapidité incroyable. Pour apprécier, je pense qu’il faut regarder cet ensemble, savoir "oublier" les banderilles qui tâchent de sang le cou du taureau, considérer que la blessure des éperons sur les flancs du cheval est superficielle et se soigne très bien…

Puis les peões déplacent le taureau à la cape, attire son attention pour quelques passes, permettant au cavalier de sortir et aux forcados de prendre place ; Aucune mère au monde ne voudrait voir sa progéniture à pied, à mains nues, et coiffée d’un bonnet vert, se présenter ainsi devant une bête de cette taille passablement énervée ! C’est pourtant ce que ce jeune forcado s’apprête à faire, il l’invective avec arrogance, et le taureau se place face à lui. Un silence interminable s’installe, plus un bruit n’émane de l’arène.

Lorsque le taureau charge, le forcado le saisit par le cou, et s’accroche fermement entre ses cornes, c’est alors que les autres lui viennent en aide pour l’immobiliser. Dit comme cela, l’acte semble aisément réalisable, mais il faut voir avec quelle force le brave taureau agite la tête, projetant le dingue consentant qui a choisit de s’y accrocher, balayant ensuite dans sa course les 7 autres forcados comme des quilles ! Après s’être concertés, ils lâchent le taureau, et un désigné s’accroche à la queue pour faire diversion, se faisant trainer sur quelques mètres circulaires.

C’est là que les picadors rentrent en scène, amenant un petit troupeau de vaches que le taureau suivra (ou non) vers la sortie, avec ou sans les applaudissements selon le courage dont il a fait preuve. Ainsi le taureau qui a sauté en direction des gradins, détruisant au passage les parois en bois, a été très apprécié !

Cavaleiros, peões, et forcados reviennent à pieds dans l’arène pour recevoir leurs lots de félicitations, applaudissements et même quelques fleurs. Les beaux costumes immaculés des forcados sont tâchés, le visage du premier barbouillé de sang, une sandale gît au centre de l’arène, une sorte d’apaisement s’empare du public pendant que le sol est à nouveau ratissé pour accueillir le prochain taureau…

Que l’on soit partisan ou opposé, il faut reconnaitre qu’une tourada est une véritable démonstration d’adresse. La bravoure du taureau y est respectée autant que la grâce du cheval, l’habilité du cavaleiro, la musique présente aux moments cruciaux nous plonge dans un autre monde, et enfin il faut souligner le courage du jeune forcado qui s’élance sans arme contre une paire de cornes bien implantées dans la tête d’un animal furieux !

"O Toiro Bravo !"

Laurène

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