lundi 16 août 2010

Transat, second round : Açores - La Rochelle











Nous quittons Angra do Heroismo le mercredi 28 juillet.
Le souvenir qui estampille cette douce escale au milieu de l’océan Atlantique est déjà installé confortablement dans le petit tiroir des précieux.
Il nous faut contourner Terceira pour trouver le vent établi, la mer est belle. Sur notre bâbord se découpe l’île de Graciosa, dernier repère terrestre avant La Rochelle (à quelques 12OO miles nautiques). Le soleil nous y fait un clin d’œil d’une rare beauté en choisissant ses reliefs pour virer au rouge puis laisser place à la palette immense des bleus qui épousent les couleurs chaudes si caractéristique des crépuscules.



Les premiers jours apparaissent comme un hymne à la lenteur, il nous faut créer notre propre vent à partir de la moindre brise. Des journées entières à tenter des expériences variant les combinaisons de voiles. Aussi, il y a les heures aliénantes de moteur quand le vent est nul !
Si certains marins naviguent en voilier comme on conduit une voiture, ce n’est pas notre cas…Nous n’avons pas le choix. Nous planifions toujours notre route en fonction des vents, en aucun cas selon nos envies. Cette fois encore, la route directe est rallongée de trois cent miles nautiques (pour écourter l’inévitable progression dans l’anticyclone, nous faisons cap plein Nord pour plusieurs jours).

Nous prenons presque goût à l’ennui quand l’océan devient un miroir. Dans le calme absolu, notre embarcation se transforme en observatoire et la mer en atlas.
Quand l’horizon ne nécessite pour l’œil aucune mise au point, que le bleu renvoie une lumière uniforme d’un mètre à l’infini, la vie des premières couches aquatiques devient un petit feuilleton.
Trois jours durant, nous observons un phénomène qui ressemble à une migration, un vrai défilé de baleines, dauphins, globicéphales. On voit même une tortue en promenade. Si nous avions une épuisette, nous aurions pu frire les petits poissons qui longent la coque par dizaines.
La nuit, quand le vent nous porte à une allure faisant suffisamment de remous, les dauphins nous font l’honneur de nous escorter. Au début, on se pose des questions.
Ce qui se passe est même très étonnant, en se déplaçant avec toute l’énergie qu’on lui connaît, le dauphin produit (grâce au plancton) l’effet d’une torpille fluorescente.
Au premier coup d’œil, on a un peu de mal à y croire, ces torpilles deux fois plus larges et longues qu’un dauphin qui se respecte, nous foncent droit dessus !
Le pire, c’est qu’une torpille arrive d’un côté, disparaît, puis ce sont deux puis trois et ça continue…

J’ai éveillé Laurène au début du spectacle, j’avais écarté l’hypothèse des dauphins (cela semblait énorme à cause de la traînée !). Je croyais que c’était des requins, des orques ou je ne sais quoi mais j’interprétais cela comme un genre d’attaque sous marine ! Il faut dire que deux requins nous rendaient une petite visite cette même journée (des petits, mais quand même !).

Le cinquième jour, le vent fraîchi, nous installons le foc de route et prenons un ris dans la grand voile mais cela ne dure malheureusement que quelques heures…Le 9ème jour le baromètre affiche 1022 hectopascals, cette fois nous vivons cela comme une victoire, enfin la porte de sortie de l’anticyclone.
Les oiseaux se font de plus en plus rares, c’est dommage ils nous tenaient en éveil en répétant des attaques sur notre ligne de pêche. Plusieurs amis ont connu de mauvaises expériences, un puffin (les fameux « cagaro », je pense que c’est leur nom en français, sinon ce sont les pétrels) voulant déguster le leurre à la traîne pris par l’hameçon…
Il faut donc être vigilant et remonter la ligne en cinquième vitesse lorsque l’oiseau la prend pour cible.
Il y a aussi des oiseaux noirs (plus petit) et puis, plus rare sous nos latitudes, les albatros. Ce petit monde vole jour et nuit, ils se reposent en groupes dans les zones de calmes.

Pour rien au monde, nous ne manquons le bulletin des prévisions météo diffusé par RFI, c’est un grand moment de la journée. Nous sommes maintenant capables de noter à la vitesse de l’éclair. Chaque matin à 11h30 TU, c’est la même cérémonie, cela commence par l’avis de coup de vent puis la situation générale qui localise les cœurs dépressionnaires et anticycloniques (la pression atmosphérique, l’évolution et la direction sont également mentionnés). Ensuite viennent les prévisions par zone pour 24h, qui nous fournissent des renseignements précieux comme force et direction du vent, visibilité, état de la mer.
Nous ne sommes évidemment pas assez rapides pour éviter une dépression qui se déplacerait à quinze nœuds dans notre direction mais cela nous permet de préparer le coup et de prendre des options d’une manière générale.
Ainsi, nous comprenons pourquoi nos moyennes sont si médiocres, une dorsale de l’anticyclone (à 1020 hectopascals, c’est moins puissant) s’étend jusqu’au golf de Gascogne.

La vie est belle à bord, outre les bons petits plats, Laurène prépare du pain (pour la deuxième fois depuis le départ).Quand il sort tout chaud de la cocotte, on le goûte simplement avec du beurre (un délice !).
Quelques heures d’un soleil haut suffisent à porter un bidon d’eau de 5 litres à une température tout à fait acceptable pour la douche. Encore un petit rituel, la douche dans le cockpit. L’eau de mer est fraîche sous ces latitudes, nous l’utilisons pour une partie de la toilette mais aussi pour la cuisson (les proportions sont variables), la vaisselle, etc. L’eau douce est réservée à faire mousser le savon et à se rincer.

A partir du 12ème degré de longitude Ouest, les cargos et autres monstres d’acier apparaissent en nombre en coupant généralement notre route (ils font cap Nord/Sud alors que jusqu’ici c’était Est/Ouest ou l’inverse). Nous redoublons de prudence lors des veilles, de jour comme de nuit (je ne dois pas rappeler que nous n’avons ni « mer-veille » ni radar).
Ce petit sursaut de trafic n‘est rien comparé à Gibraltar ! La seule chose détestable, ce sont les gros bateaux de pêche, très difficiles à identifier. Vu dans la nuit noire avec la houle qui vous fait disparaître la moitié des repères en rythme, on croirait voir des arbres de noël avec des lumières partout, et différentes selon l’action en cours. En plus il faut se méfier de l’erre des filets qu’ils traînent, et puis parfois ils chalutent en couple. Bref, l’horreur !
En voilier, on ne va pas où cela nous chante, la direction du vent soustrait un angle d’environ 90° et puis selon sa force on n’aime pas toujours empanner (sans entrer dans les détails ce petit souci avale lui aussi 90° de possibilités!). Vous l’avez compris, puisque la boussole nous refuse des quartiers, il faut donc observer des relèvements successifs nous indiquant la marche du navire et anticiper…
Nous en avons croisé de toutes les tailles, et de toutes les couleurs, on a vu une plateforme de forage pétrolière remorquée, une frégate faisant demi-tour juste devant nous, des portes-containers plus gros que ce qu’Haussmann a fait de plus grand…
Bref, pour en finir avec ces petits navires, saviez vous qu’un pétrolier par exemple peut mesurer plus de trois cent mètres de long. En gros, cela fait un tas de ferraille de 250 000 tonnes qui flotte lancé a plus de 15 nœuds!

Les jours passent, impossible de se détacher de l’envoûtant spectacle du ciel, est-ce là une notion du temps qui nous appartient ?
Pas un matin ne ressemble au précédent, de l’aurore toute particulière à la nuit noire étoilée, il y a un mouvement permanent qu’on ne se fatigue pas d’observer. C’est mon activité favorite, en pêche je suis nul.
Un poisson a mordu hier et je ne l’ai pas vu à temps… (nos lignes de traîne sont de simples lignes avec un émerillon qui se finissent par un bout de fil d’inox et d’un leurre, on n’a ni canne ni moulinet pour nous prévenir quand il y a du monde au bout, …on surveille).
Je deviens maître dans l’échec en pêche, les poissons gagnent toujours ! Celui d’hier, il devait faire facilement plusieurs repas, il a cassé un hameçon de 5 cm !
Pour les quelques bons poissons du début, surtout en méditerranée finalement, je pense qu’on peut mettre ça sur le dos de la chance du débutant. Depuis c’est une catastrophe, les daurades s’échappent, les leurres se font bouffer et maintenant les hameçons cassent.
Moralité, hors de question d’abandonner, on a encore un tas de citrons et de patates réservées pour accompagner la pêche…je n’ai pas dit mon dernier mot !

Tiens bientôt l’heure de manger, je plaisante on n’a plus d’horaire depuis longtemps !
Quinzième jour, au rayon fruits et légumes nous avons : une pomme et deux oignons. Le frais s’évapore…
En tout cas, nous n’avons jamais été si soigneux et respectueux envers nos amis les fruits.
Pour cette navigation, nous avions bien choisis nos fruits :du raisin, pêches, nectarines, pommes, poires, bananes, oranges. Certains un peu mûrs, la majorité complètement verts !
On s’est régalé, chaque jour apportait un peu plus de sucre et de jus dans nos fruits, on sortait les tomates chaque jour pour les faire rougir au soleil.
On les a choyés avec des petites boulettes de papier journal pour les protéger. On les a observés, touchés, sentis jusqu’à se qu’ils soient prêts…

Mercredi 11 Août, je pense à Etienne. C’est son anniversaire et une fois de plus je suis en mer, comme pour celui de tous mes frères cette année…

Jeudi. Je commence à faire les 400 pas. Non, ce serait compliqué. Alors je fais des 360° debout dans le cockpit, c’est vrai je suis tellement debout que j’en ai mal aux genoux ! Ca sent l’écurie ! Laurène est plutôt calme, la mer nous ballotte un peu depuis hier, on file bon train pour la Rochelle. Je m’amuse à imaginer la date d’arrivée depuis quelques jours et cette fois il faut considérer sérieusement la marée pour entrer avec le courant et suffisamment d’eau dans le chenal du vieux port.
Ah j’oubliais, on est dans le golfe de Gascogne ! Nous traversons actuellement la zone qui fait la réputation de ce golfe. Ici les fonds marins passent de plus de 4000 mètres à 200 mètres en quelques dizaines de miles, la mer est hachée, croisée, désorganisée (la houle nous traduit les fonds, on l’avait senti avant de consulter la carte). Dans les petites crêtes d’écumes les dauphins bondissent de toutes parts, c’est très touchant.


Vendredi 13 août, la nuit a été longue et fatigante, truffée de chalutiers…Goudrome est vif, nous surfons grand largue bâbord amure a plus de 6 nœuds de moyenne, la houle de Nord nous prend par l’arrière et veut nous sans cesse nous faire lofer. Le régulateur ne tient pas.
Quelques heures nous manquent pour programmer l’arrivée à la pleine mer ce soir… Rien ne sert de pousser au moteur, nous profitons d’une dernière nuit en mer pour un dernier repas aux chandelles étoilées.
Ce soir au menu, un beau thon pêché ce matin (dès le réveil j’ai envoyé la ligne, 10 minutes plus tard, je découpais des petites lamelles à déguster de suite avec du wasabi et de la sauce soja, un petit déjeuner de Samouraï) !

Il nous tarde de découvrir La Rochelle, de revoir Jean-René et vous tous !
Le problème c’est qu’on est juste trop tard pour la pleine mer du soir, le chenal d’accès est dragué à 50cm, on entrera donc demain, avec le courant et la marée (2 nœuds de courant avec nous et 6 mètres de hauteur d’eau de plus).
On se met à la cape au large pour patienter et on prend le courant dans le Pertuis d’Antioche à 4h du matin, entre l’île de Ré et l’île d’Oléron dont on découvre les nombreux phares.
Je n’ai pas dormi cette nuit, trop excité par ces quelques miles qui bouclent notre aventure sur l’eau…

Nous voilà à la Rochelle, accueillis dans le vieux port par un Jean-René survolté, et des amis rassurés, en plein milieu des festivités du 15 août. Ça fait beaucoup !

Désolés donc de ce retard, mais ça y est, nous y sommes !
On se laisse quelques jours pour débarquer avant de vous donner un sentiment sur ce qu’a pu nous apporter cette expérience.

6 commentaires:

  1. premier à vous accueillir, premier sur le blog...
    bravo pour tout
    que ces souvenirs, ces aventures vous soient bénéfiques pour le futur à st-ouen
    merci à vous d'avoir refait galopé le goud
    à tout de suite
    jrc

    RépondreSupprimer
  2. je suis tellement contente de vous savoir à bon port ,ces jours passés sans nouvelles ont été les plus longs à vivre pour nous ,pauvres terriens.....Rendez vous à l'ile de ré pour faire une petite nav ...Pour le moment.....Champagne......flo chantal olivier emeric et brice sans oublier jiji

    RépondreSupprimer
  3. Bon retour sur terre. J'espère vous voir bientôt. Noodle a suivi vos péripéties avec attention !
    Caro

    RépondreSupprimer
  4. depuis ces moment passé aux Açores et notre retour sur le Flamboyant (apropos, le vin de pico a tourné imbuvable!) j'ai suivie votre progression sur votre blog(que je trouve super!) heureux de vous savoir de retour , nous avons fait une belle nav aussi sur bougenay malgrés une derniere nuit d'orage impressionnante, un vrais son et lumiere!

    Babar c'est pris un cargo dans le golfe aux alentour du 47N 07W mais il a pu regagner' la
    Bretagne quelle trouille ila du avoir!
    Felecitation pour votre belle aventure!
    ken a vo
    François Grall

    RépondreSupprimer
  5. Hello les marins de Saint Ouen,
    on est fiers de vous et contents de votre retour. On a hâte de vous voir.
    Bisous de Aude & Damien

    RépondreSupprimer
  6. Bravo ! Bravissimo !
    Difficile d'imaginer toutes les émotions que vous devez ressentir.
    Pour notre prochaine fois en Atlantique, on fera tout comme vous. Du moins, on essaiera...
    On vient d'arriver à Quito, et on est hébergé par ... Rico. It's a small world.
    Bon retour chez les vaches !
    Max et Nico

    RépondreSupprimer