mercredi 1 septembre 2010

La Rochelle - Saint Ouen

Après une dernière escale sur l'île de Ré que nous essayerons de vous raconter dans un prochain post, nous amarrons Goudrome pour de bon dans le bassin des chalutiers de La Rochelle. Cette fois c'est l'heure du grand départ, vers Paris...



On écrit une lettre à Jean-René, très émus par les dernières minutes à bord de Goudrome qui nous poussent vers la sortie. Un petit tour de clef dans le cadenas chinois boucle presque une année de « porte ouverte ».
Direction la gare de La Rochelle, je me retourne une première fois, une seconde, une troisième et chaque regard lancé vers le bateau ouvre le petit robinet des grands souvenirs…Regarder Laurène qui a, elle aussi, les yeux mouillés d’eau salée me pousse à déglutir et renifler d’avantage. Nous y sommes, Adieu bon Goudrome ! C’est comme dans un rêve, impossible de le crier…

17H06, voiture 19, place 61 et 64. Bienvenue dans le monde des chiffres bousculés par le temps (et l’informatique qui nous attribue deux fauteuils séparés). Les dossiers sont raides, lumières néons, ventilation. Le wagon se remplit d’inconnus qui nous ignorent ainsi que tous ceux qui ont déjà pris place. Assis sur les fauteuils mauves et violet striés, les uns derrière les autres, nous admirons le métal gris des tablettes repliées, la grisaille du plafond et le tapis qui lui répond par un motif moiré de vagues grises et bleues fabriquées par un logiciel. Gloups...

Un effet de larsen dans les hauts parleurs dissimulés tous les deux mètres vous pulvérise les tympans d’un discours hypocrite de bienvenue : « Au nom de la SNCF et de l’alliance Rail team… »
Vive l’Europe dans son élan de nivellement : les standards, les normes et la sécurité! Vos bagages sont obligatoirement étiquetés et vous devez aussi signaler tout bagage suspect.
Notre voisin, un jeune très élégant se fond parfaitement dans ce décor où rien ne dépasse, il sort tout droit d’une publicité genre dentifrice. Lui aussi nous ignore et poursuit ses conversations téléphoniques. Cela commence par la marge sur le Taittinger, puis il appelle le bureau pour obtenir le mail du client de Dubaï (et en passant, de celui du Sri Lanka). Sa montre doit coûter plus cher qu’un jeu de voiles neuves. C’est peut-être pour cette raison qu’il disparaît sans un mot à chaque fois que quelqu’un désire s’installer sur le siège voisin.

Les hauts parleurs : "Bienvenue à Saint Pierre des Corps, correspondance pour Tours." Les quais de correspondances sont indiqués sur des écrans en bout de plateforme. », la prise en charge ne s’arrête pas à la porte du train, on vous indique où poser les pieds et où regarder…
Des nouvelles têtes embarquent en nombre, une déferlante de genre humain à la démarche presque militaire avance dans l’étroit couloir qui conduit au numéro gagnant, celui qui correspond au billet. Chaque individu arborant son ticket et poussant son chargement de la jambe droite tendue. Notre nouveau voisin immédiat est un homme d’une cinquantaine d’années. Petit veston bleu marine à boutons dorés, chemise bleu ciel à manche courte sur pantalon beige et mocassins Sebago classiques. Le tout rehaussé d’une cravate reprenant évidemment les tonalités colorées de l’ensemble du jour (il y a même les touches de dorures).Ce type pue le cendrier, ses doigts sont jaunes orangés, ses cheveux gris en bataille trahissent un trop lointain coup de ciseau. Des poils lui sortent du nez et des oreilles. A chaque mouvement de bras je distingue de larges auréoles de transpiration acides dont le parfum ne m’évoque rien d’heureux. Sa toux est grasse, il baille et se gratte le crâne dégarni, ce qui a pour effet de répandre un tas de particules en suspension dans l’air.

Les portables, quoique formellement interdits sonnent sans cesse, Laurène se met aussi à tousser, un troisième vieux lui fait écho en rythme. Nous n’avons pas eu le moindre rhume en mer, cela risque fort de changer.On a de la chance, il n’y a pas trop de mômes qui hurlent, le calendrier nous laisse une semaine avant la rentrée des classes.

Le paysage défile à toute allure, des touches de nature verte et sauvage se fondent dans la campagne dorée de blés coupés du mois d’août. L’ensemble ponctué de "Promocash" et autres "Euro2000" sans oublier les enseignes génériques qui fleurissent partout aux abords des villes. Fini la mer, les rares rencontres qui apparaissent d’abord à l’horizon lointain. Retour aux châteaux d’eaux, aux poteaux électriques et aux clôtures. Chaque centimètre carré de terre est travaillé, bitumé, tagué. Nous fonçons à plus de 200 kilomètres à l’heure dans un cercueil vers Paris et personne ne semble inquiet.
Dans ce wagon de seconde classe, il est strictement interdit de fumer et de téléphoner, de votre fauteuil vous savez si les toilettes sont libres. Il y en a partout, il y a aussi des tables à langer, des zones réservées aux handicapés moteurs et d’autres réservées aux ordinateurs.

A cette vitesse, le ciel change en quelques seconde, on passe d’un soleil éclatant à une brume épaisse, on traverse la pluie comme un éclair.Nos pensées sont dehors, à travers les gouttes d’eau qui glissent sur la vitre telles des spermatozoïdes.

Aux toilettes, un mode d’emploi très complet commence par les interdictions (j’avais déjà été choqué sur les îles françaises des Antilles par un phénomène similaire qui concernait l’accès aux réserves, aux parcs, etc. La visite commence toujours par un panneau d’information reprenant un nombre impressionnant d’interdictions !).Interdit de jeter des objets, interdit de fumer, puis vient le petit sermon sur la propreté. La SNCF nous prend vraiment pour des cons, on vous illustre chaque étape du lavage de main au séchage. On vous indique où tirer la chasse, bientôt on vous dira où et quand chier !
En tout cas, pour 77 euros par personne (soit plus de mille balles à deux) on vous offre du papier de verre pas plus épais que du papier à rouler.

Le ciel est gris, le bétail s’agite, la fièvre monte et les haut-parleurs rappellent aux enfants de ne pas oublier leur cartable. Les deux minutes de retard déclenchent une avalanche de coups de fils illustrant la qualité du phénomène du « toujours joignable ». Nous assistons patiemment à une suite de phrases téléphonées qui pourraient illustrer le recueil du "t’es où?".

Paris, des flèches au sol aux masses humaines, impossible de s’écarter du chemin qui conduit à l’abattoir. C’est ainsi que nous vivons les premiers pas sur la lune…
On en a rêvé, dix fois, cent fois ! Mais l’arrivée au cœur de la gare Montparnasse est loin de répondre à nos attentes.

Le premier visage vers lequel nous nous tournons est celui du guichetier de la RATP. Un jeune homme excédé mâchant un chewing-gum en accéléré comme pour écraser le monde, fuyant du regard la moindre sympathie.Les portes d’accès aux quais ne sont rien d’autre que des guillotines latérales dont l’ouverture pneumatique automatique est programmée pour un passage d’une fraction de seconde.Cet accès nous conduit aux longs couloirs ponctués d’escalators où l’on se range pour mieux s’imprégner des publicités abrutissantes.
On a eu du mal avec le vacarme de notre bon vieux trois cylindres diesel mais au moins on pouvait l’arrêter ! Au secours ici rien ne s’arrête, les gens qui courent (on a vraiment l’impression qu’ils savent où ils vont !), la chaleur qui monte et ces odeurs en pagailles. De la pisse aux eaux de toilettes, chaque instant est un flash pour les sens. Cela vous brûle de la rétine aux tympans en passant par les poumons.

Pas un regard agréable et pourtant je le cherche comme une issue au maquillage, au déguisement de cette espèce cocottée méconnaissable. Heureusement, il y a des blancs, des noirs, des jaunes et des clochards fous pour traduire la différence. Vous devez rire, comment peut-on être surpris de l’absurdité après s’être fondu dix ans dans cette gigantesque fresque animée ?
En prenant du recul, en résiliant tous les contrats et en donnant ses clefs pour un temps.

Mais demain apparaît de nouveau, un an à vivre dans le présent dans le jardin du temps libre nous donne l’impression d’avoir des ailes. Demain, c’est un samedi, nous rassemblerons machinalement nos souvenirs matériels enfermés dans des cartons poussiéreux et remplirons nos placards de parures inutiles pour reprendre dans les règles le grand jeu de la vie.Nous ouvrirons grand les nombreux robinets pour goûter à l’eau propre et alignerons notre plus belle vaisselle pour consommer avec vous comme hier. Le lendemain, nous digèrerons la grande soupe et tenterons d’être nous-mêmes, même si nous sommes déboussolés.

La porte de notre maison est grande ouverte, la ville nous fait peur. Passez donc nous rendre visite à l’occasion, votre présence nous donnera certainement de bonnes raisons de revivre ici.

7 commentaires:

  1. Courage à vous deux, de doux moments sont accessibles aussi sur terre. Seul point commun fixer votre rêve, votre but... comme vous avez fixé l'horizon

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  2. Homme libre....toujours tu chériras la mer!
    N&C.P.

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  3. Nous avons bien pensé à vous deux, à votre retour, vos pieds sur terre et vos têtes dans l'eau... depuis Quito, avec Rico et Leo, en trinquant à votre santé !

    Ne soyez pas trop durs avec les parisiens, ils ont les mêmes rêves que vous, mais n'ont eu ni la force ni la folie de faire ce que vous avez fait !

    Gros baisers

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  4. Vous arrivez au bon moment! Lanvin pour H&M...

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  5. je vous suis depuis votre départ, vous nous avez donné que du plaisir, dur de revenir sur terre la réalité vous attend, CHANTAL ET MICHEL se joingnent à moi pour vous féliciter pour votre courage et votre tenacité

    bien amicalement de la guadeloupe

    serge

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  6. Vous avez la chance de savoir que les rêves sont réalisables, et que vos destins sont entre vos mains... Tout est donc possible...
    Merci pour cette aventure que vous m'avez fait partager, et pour toutes les émotions suscitées, je suis très heureuse de vous avoir 'rencontrés'.
    Célia, cousine de Léo...

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  7. C'est un peu vrai, parfois je suis contente de voir flou et de mal entendre... Paris est un peu plus supportable.
    En tout cas, si vous avez besoin d'une ville un peu plus petite et plus ensoleillée, vous savez où je suis !

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