lundi 7 décembre 2009

De Tarifa aux Canaries (isla Graciosa)








Tarifa, 30 novembre 2009Il est 6h du matin, les pare-batages sont aussi fatigués que nous, (ces boudins qui pendent en guise de défense), l'un d'etre eux a explosé pendant la nuit ! C'est que Goudrome s'est fait malmené dans ce petit port où la houle entre sans frapper; il y a peu de place pour les plaisanciers et le temps est trop mauvais pour aller au mouillage, nous avons donc amarré au ponton flottant qui ballote pendant que l'on tangue.A ce mouvement épouvantable, il faut ajouter celui des navettes (plutôt des monstres vu de près) qui brûlent du gazoil pour assurer le positionement dynamique 24h /24.
Nous appareillons en 3eme position dans le convoi en partance pour les Canaries. La sortie est sans surprise, dehors le vent et la houle n'ont pas attendu le soleil pour se lever. La mer d'Alboran est derrière nous, les dauphins nous escortent pour célébrer les derniers miles de Méditerranée. Nous filons bon plein vers la pointe de Tanger pour le rendez-vous avec l'Atlantique.

L'accueil océanique a la même tonalité que le passage du point Europe quelques jours plus tôt. Après 3 heures de courant ouest allant jusqu'à 3 noeuds, arrive l'étale et c'est au moteur et avec toute la toile que nous rejoignons les alizées portuguais.
Au point radio de 19h, le cata en première position est à environ 20 miles, le second fait route entre nos deux positions, le dernier a disparu dans notre sillage avant Tanger, les appels restent sans réponse, leur projet initial était de faire halte au Maroc.

Vers 4h du matin, le vent passe enfin au nord et nous choquons la grand voile pour passer grand largue tribord amure et attendons l'aube pour envoyer le spi. Le régulateur ne tient pas l'allure, c'est le pilote qui tient le cap. La moyene journalière est excellente, 140 miles parcourus !
Pas le temps de se réjouir, à mon réveil la drisse de spi se décroche et reste en tête de mât... aie aie aie. C'est la deuxième fois. Je fais une tentative d'ascension juste au harnais mais ça bouge vraiment, lâcher une main pour accrocher le mousqueton est déjà une épreuve de force après la première barre de flèche. Je redescend, Laurène va m'assurer avec la chaise de mât, ça tombe bien nous avions repeté hier entre deux coups de vent. Me voilà à la pointe du mât pour une grande frayeur. Je grimpe comme un singe mais au sommet mon corps est pétrifié, tendu comme jamais, mes jambes et mes bras sont des pinces serrées au maximum, plus moyen de lâcher ni de bouger, le mât est devenu comme un pieu en folie auquel je suis condamné. Nous avons fait l'erreur d'affaler la grand voile qui aurait atténué les mouvements. Cet épisode s'achève quand j'ai enfin cette drisse en main et que chaque mouvement vers le bas adoucit la force centrifuge. Laurène m'a trouvé bien pâle !Tout rentre dans l'ordre, Goudrome file à nouveau.

à 20h, le vent fraichit, j'affalle le spi et découvre que la drisse est rongée jusqu'à l'os. La dernière achetée a remplacé la balancine, donc pas de stock. C'est con ! L'alternative est de tangonner le génois en ciseaux, et le résultat est probant. Maintenu par la balancine, et un bout en guise de hale-bas , la toile est bordée à plat et nécessite moins d'attention que le spi.

Le 2 décembre, on remet le couvert de la bonne procédure météo cargo, le capitaine sympa nous invite à passer sur le canal 06 quand une troisième personne intervient. C'est le voilier Cochise, que nous ne connaissons ni d'Eve, ni d'Adam, qui se félicite de retrouver des "portés-disparus". Ils avaient entendu les appels de Moultipass qui s'inquiétait de ne pas nous voir arriver à Tarifa, et avait émis un appel sur le canal 16, une semaine plus tôt!). Nous bavardons un instant, échangeons quelques informations sur nos positions respectives et nous fixons un rendez-vous ultérieur. Les 20 miles qui nous séparent vont être gommés pendant la nuit. Laurène les observe qui nous doublent par tribord (ils sont au moteur) et n'allume pas les feux pour qu'ils nous identifient (eh oui, on est de retour à l'économie d'énergie, j'ai fait un raccordement de fortune des nouveaux panneaux solaires en navigation mais j'évite de brancher les batteries neuves tant que le régulateur de charge n'est pas installé... du boulot pour les Canaries...). Nous sommes en autonomie totale depuis Carthagène (plus de 10 jours) car Gibraltar et Tarifa n'offraient pas de service eau/électricité, aussi le soleil n'est pas toujours efficace à cause des nuages... En passant j'ai observé un phénomène que je n'ai pas encore vraiment vérifié mais il semblerait que la pleine lune (qui éclaire généreusement nos nuits) charge un peu ... La lune se lève à l'est quand le soleil brûle l'horizon à l'ouest et le spectacle s'inverse au petit matin. Cette lune nous joue des tours, hier Laurène un peu fatiguée par son quart a cru que c'était un cargo en feu lorsqu'elle la vue poindre à l'horizon.

Le 3 décembre après une nuit de roulis et de calme où tout à bord devient une source de bruit incessant, le vent semble décidé à fraîchir. Il s'installe secteur nord-est et monte lentement des heures durant. à 22h, je tente de faire une sieste, en fait fermer les yeux et garder une liaison auditive, quand le comportement de Goudrome devient inquiétant. J'abandone le demi-sommeil et rejoins Laurène dans le cockpit, pas inquiète pour un sous, ses écouteurs au fond des oreilles, tout emmitouflée , et lui pose quelques questions. Mon but est d'éviter de l'inquiéter mais la mer est grosse, les vagues déferlent et Goudrome fait des embardées à 12 noeuds... C'est bien au delà de ce que peut supporter la carène, à cette vitesse la barre est presque en flottaison, tout tremble. On fait un point sur les manoeuvres et agissons rapidement. Deux ris pris en vent arrière, et quasi tout le génois enroulé (il ne reste qu'un bout de torchon tangonné pour l'équilibre) et on surfe encore à 8 noeuds !
Il y a la mer du vent et la houle qui se combinent et façonnent un paysage de vallées, de collines, en modifiant notre point de vue à chaque instant. ça commence avec de petits moutons, puis des lames mousseuses, puis des paquets qui déferlent faisant prendre de fameux coups de gîte au bateau. Laurène ne sort plus de la machine à laver, ce n'est pas confortable, et même pas agréable finallement... Voilà 24h que cela dure, je suis dans le cockpit et j'ai emprunté l'ipod de Laurène, qui, bien calée, se laisse prendre par le sommeil. J'observe l'appareil, son design hyper épuré, son faible encombrement, son poid plume et puis enfonce chacun des écouteurs au creux des pavillons babord et tribord dont je dispose. Je n'ai jamais supporté les bouchons qui vous coupent du monde, mon frère Nicolas était revenu de New-York en 82 avec un walkman rouge flambant neuf, je n'avais pas bien compris l'utilité d'un tel objet. Bon, je réussis enfin à allumer le lecteur et plonge sur un répertoire en lecture aléatoire de 727 titres ! Magique, un coup d'index dans le sens horaire et le son monte, par chance et un peu au hasard, le premier morceau joué est un extrait de Nissi Dominus de Vivaldi. Ce son si pur produit à fleur de mes tympans agit comme du mercure à émotions et fait bouillir mon sang, je contemple la mer et toute l'angoisse disparait. Je suis en train de vivre un grand moment de plénitude, les grondements de la mer deviennent envoûtants, ses mouvements confortables. Je suis assis dans le plus grand salon du monde et je pleure. C'est la seconde fois de ma vie que je fond en larmes grâce à de la musique. La première fois, c'était lors d'une matinée scolaire au théâtre du Châtelet. Un célèbre chef d'orchestre japonais reprenait phrase par phrase le sacre du printemps de Stravinsky. (c'était aussi le traditionel cadeau de 18 ans offert par mon grand-père) Il va sans dire que cet ipod va m'offrir de belles récréations.

Le 4 décembre 2009, 6h20 du matin, Goudrome vogue par 29° 26' de longitude et 12° 56' minutes de latitude ouest. Nous faisons un cap de 245° à 6 noeuds. Le vent de secteur plein nord ne souffle plus à présent que force 5 et Laurène dort profondément. Il nous reste un peu moins de 40 miles à parcourir avant de découvrir le sable de Graciosa.
à 210°, un autre voilier semble faire la même route, je l'observe depuis quelques heures (nous apprendrons plus tard qu'il s'agit de Envole-moi). La lune au zénith joue à cache-cache avec les nuages qui filent au sud. Le grément est bien réglé, le ciré de Goudis est posé sur le pilote pour le protéger des embruns et crée une silhouette rigolote. Dans quelques minutes, je vais rejoindre la couchette babord réchauffée par ma princesse et me lover dans les draps pour y déguster son odeur. Si certains d'entre vous me demandent encore pourquoi prendre la mer et faire autant de sacrifices, voilà une des réponses. En plus du plaisir de se déplacer au gré du vent, vivre sans pollutions extérieures son couple et prendre le temps de se découvrir, c'est un vrai cadeau.

Enfin, se profilent des bouts de terre enchevêtrés que nous devons démêler visuellement pour trouver le passage entre Lanzarotte et Graciosa, l´etroit Estrecho Del rio. Une fois de plus nous manquons d'informations, entre un pilote marine pas assez détaillé et notre carte (datée de 1953 !) à trop grande échelle. Nous sommes tous les deux contents d'arriver enfin, le temps commençait à être long, et les odeurs de terre ravivent nos corps et nos esprits.
Nous apellons à tout hasard à la VHF dans l'espoir de joindre Cayok ou Moultipass qui doivent déjà être arrivés, et cela dépasse nos espoirs : en plus d'être déjà là, Danielle nous lance une invitation à déjeuner! Encore une fois, quel accueil, quel bonheur! C'est donc à la Playa Francesa que nous mouillons, sur les bons conseils de Louis et Alain qui nous crient le meilleur emplacement pour déposer l'ancre.

L'endroit est désert, sauvage, baigné de soleil, son eau est turquoise, nous osons à peine y croire...

1 commentaire:

  1. Laurène, si tu lis ce message, faut absolument que tu me traduises une chose : qu'est ce que veut dire: "l'alternative est de tangonner le génois en ciseaux" ????
    Pasque là, moi j'ai rien compris à cette phrase ;-)

    RépondreSupprimer