mercredi 20 janvier 2010

Las Palmas (Canaries) - Mindelo (Cap Vert)

















Le 11 janvier 2010,

Lou ne voulait pas manquer notre départ vers le Cap Vert. A 17h30, l’antenne BLU qui est posée sur le pataras jusqu’en tête de mât clôture les préparatifs. Sur le ponton S, Lou est accompagnée de Fabrice, le capitaine du cata sur lequel ils partiront vers Cuba demain. (C’est aussi le cata sur lequel nous dansions la veille jusqu’à l’aube enthousiasmés par le rhum qui coulait dans nos veines). Nous saluons aussi Tessa et François, façon canadienne : pas de poignées de mains viriles, ni de tendres baisers, mais plutôt une accolade amicale qu’ils appellent le « hug ».



Après plusieurs soirées en leur compagnie, nous avions décidés de les emmener au Cap Vert mais sans engagement pour la suite. C’est que Goudrome est plutôt configuré pour un équipage réduit, tout l’espace est ouvert et leur présence aurait pu remettre en cause les fondamentaux de l’intimité. Cela ne semblait pas les effrayer, au contraire !
Leur détermination, leur histoire, et ces bons moments partagés avaient finis par bouleverser Laurène qui envisageait à présent de les accueillir jusqu’aux Antilles. Le soucis c’est qu’ils s’étaient déjà engagés en passant une première nuit sur Lélio et se devaient d’être fidèles au premier capitaine leur proposant la transat (sans escale au Cap Vert), un couple de retraités, ma foi sympathiques.

Ces adieux sont déchirants, un échec cuisant et une situation ridicule. Nous abandonnons impuissants ce couple de notre âge et les larmes de Laurène impriment leurs jolies silhouettes, tout en continuant à faire des signes d’au revoir aux autres bateaux.

Lou et Lucille ont couru jusqu’au bout de la jetée et tentent de rester en contact par des cris et des gestes amicaux pendant que Laurène hisse la voile qui clôture comme un trait cette escale familiale. (Tellement familiale que la jolie voisine norvégienne Hildegunn, du catamaran Enata, avait pris soin de nous préparer un délicieux pain de farine complète et de céréales concassées. Lou nous avait aussi offert des petits chocolats)

Je passe la première nuit à empanner (passer de bâbord à tribord amure en vent arrière) pendant que Laurène accuse le choc de ces séparations. Le moral est dans les cales le lendemain aussi. Le spi est envoyé depuis ce matin et nous filons par une bonne brise de nord-nord/ouest. Le vent est variable dans sa force mais aussi dans sa direction. Vers 1H du matin, il passe enfin est-nord/est et je m’épuise à empanner sous spi pour éviter d’éveiller Laurène qui déguste son quart de repos. Cette opération demande beaucoup de concentration et d’effort physique, cela dure un moment !
Manœuvre réussie, fier comme un coq, je me défait de mes vêtements trempés de sueur, et reviens à la barre.

La nuit, les couleurs se font remarquer par leur absence, c’est le noir absolu par définition. (Petit clin d’œil à Julien !). Goudrome file à vive allure en inscrivant délicatement une traînée phosphorescente. Le spectacle est inouï, on ne se fatigue pas d’observer le plancton qui explose en réponse au scintillement des étoiles. (On ne compte plus les vœux de bonheur exprimés en observant les étoiles filantes, qui tombent parfois très près du bateau)

Le régulateur ne fonctionne qu’approximativement, à cette vitesse (parfois 8 noeuds) il est presque dangereux de perdre le cap. Mon seul stage aux Glénans me rappelle le souvenir amer d’un départ au lof. (Le bateau devient ardent, remonte brutalement au vent, résultat il se couche en une fraction de seconde)
Nous voulons aussi épargner le pilote automatique, et choisissons de barrer à tour de rôle, pour le conserver longtemps comme un troisième barreur. Le plus long reste à venir.

Laurène n’est pas très heureuse en mer, cette longue navigation est éprouvante puisqu’elle ne ressent de véritable satisfaction qu’aux escales. Le roulis est chez elle un moteur à alimenter les pensées négatives. Malgré la décision ferme et définitive prise librement à l’issue de la méditerranée, elle s’acharne à penser que le bateau n’est pas son ami. J’ai l’impression qu’elle est en apnée dès qu’on ne voit plus les côtes !
Est-ce de la volonté, ou seulement une jolie définition de l’amour ?

Heureusement, quelques éléments vont briser sa coquille en douceur. Le troisième matin, elle peut enfin vraiment admirer les dauphins qui nous rendent visite. Elle passera un long moment assise à la proue, observant la nage fluide et harmonieuse des dizaines d’individus qui se présentent sous ses pieds à tour de rôle.

Le soir nous nous installons confortablement dans le carré, l’ordinateur portable est maintenu par des crayons scotchés à la table, nous vivons notre premier cinéma-croisière !
Un régal, l’espace d’un film, nous sommes littéralement absorbés, même si nous observons des pauses pour la veille, trois ou quatre fois par heure.

Vendredi 15 janvier 2010,
Nous passons le tropique du cancer, je fais un écart et bois une bière chaude en guise de célébration.

A présent la route est définitivement celle des alizés. Le vent est installé secteur nord-est, force 3 à 6. Idéal pour notre cap à 220°.
Là, on découvre la plaisance, ça commence à plaire à Laurène. Nos journées sont douces et ensoleillées. Au programme : cuisine, pêche, lecture, musique et farniente.
(pour le point de la pêche, on aime autant l’exercice que le résultat : la seule dorade pêchée nous a laissé une joue avant de nous abandonner. C’est un peu comme si une belle assiette vous était présentée au restaurant et finissait sur la table du voisin)
Bref, la genèse du repos, de la contemplation.
Nous ne croisons rien ni personne depuis la nuit de mardi ! (Si, quelques dauphins, un ballon de football et un morceau de bois, genre bille de chemin de fer à la dérive)

Une autre activité débute samedi soir : les vacations radio !
A notre grande surprise, en veillant le canal de sécurité (le canal 16) nous entendons des français qui se dégagent ensuite sur le canal 72, ce que nous faisons aussi (un peu comme si nous écoutions aux portes). Plusieurs choses nous interpellent au fil de la conversation : trois pavillons français en convoyage, des voix, une fille… mais oui, c’est Lou et Fabrice sur Vigual !! Incroyable, ils sont partis un jour après nous et font route sur Cuba en faisant une escale à Saint Martin, nous ne pensions pas les entendre ! Nous vérifions à plusieurs reprises sans y croire leur position : elle est bien à 165 miles nautique !!! Lou et Laurène se parlent comme au téléphone pendant un long moment.
Nous parvenons à nouveau à communiquer lundi pour des adieux marins.
Cette nuit là c’est encore nuit noire. La nouvelle lune apparaît brièvement sur tribord dans une tenue aussi légère qu’éphémère. En passant, c’est un spectacle de toute beauté. Le ciel à l’horizon reprend ses crayons de couleurs pour laisser la place à la reine de la nuit et on assiste à une merveilleuse séance de maquillage : d’abord un trait de lumière, léger et précis, pour souligner le volume par le bas, puis l’ensemble du cercle qui apparaît comme un halo, et enfin le relief en son centre qui se distingue subtilement avant de disparaître.
Arrivent enfin les étoiles, cela commence par les couches près de l’horizon pour les plus lumineuses, puis l’ensemble de la voûte céleste se met en place. Durée du spectacle : environ 12 heures.

Ce Lundi 18 janvier, en plus d’être l’anniversaire de mon frère aîné auquel je pense particulièrement, une lueur m’intrigue.
Je fais un relèvement à 70° et vérifie en observant sa lente évolution qu’il ne s’agit pas d’une étoile. Je m’interroge des heures durant sur ce phénomène qui ne ressemble pas aux feux d’un navire habituel (ni cargo, ni bateau de pêche, ni voilier).
Au bout de quatre heures, ses points lumineux grossissent plus rapidement et commencent à m’inquiéter. Nous faisons une route de collision. Laurène et moi anticipons les manœuvres à envisager. Nous allumons la VHF pour vérifier qu’il ne s’agit pas d’un navire de contrôle (douane..etc) et découvrons une conversation entre deux individus s’exprimant en anglais. Le premier a un accent plutôt indien, le second plutôt arabe… le ton, ainsi que le contenu, sur un fond de musique étrange et hachée (nous sommes bien sur le canal 16, réservée d’autorité exclusivement aux appels de détresse, d’urgence et de sécurité !). Le thème est la mort, la guerre et les échanges ressemblent plus à des insultes qu’à des rapports courtois ! Gloups… des pirates ??
Nous sommes pile au large d’une des villes les plus pauvres d’Afrique de l’ouest, et ce bateau commence à s’approcher dangereusement. J’allume le projecteur de pont et envoie une torche puissante supplémentaire dans les voiles, nous sommes prêts à manœuvrer, quand l’ofni nous imite ! Ce que nous découvrons à cet instant est magique, dans le noir absolu, un vieux gréement s’illumine intégralement à quelques centaines de mètres.

Le lendemain, nous le recroiserons (mais cette fois de jour), et l’identifierons comme le Rara Avis, naviguant de pair avec le Bel Espoir, deux super stars des océans, la flotte du père Jaouen. Heureusement que Laurène a de la culture marine (ça va plaire à Jean-René).
Moi de mon côté je me suis contenté de faire une plaisanterie radio, qui se résume comme ceci :
- « Rara Avis, Rara Avis, Rara Avis, pour Goudrome, m’entendez vous ? Vous êtes sur notre route, vous feriez mieux de virer, on arrive plein pot et on n’a pas de freins ! »
Et l’autre de répondre :
- « t’inquiètes, on vient de mettre toute la garde robe ! »
Ceci a détendu la suite de la conversation, le capitaine nous a gentiment rappelé plus tard pour nous donner la météo, et surtout la promesse d’un rendez vous pour boire des coups une fois arrivés au mouillage commun, Mindelo sur Sao Vicente.

Mardi 19 janvier 2010,
Notre atterrissage est à l’image de cette navigation, nous arrivons de nuit mais en toute tranquillité et à la voile, pour ancrer par 5 mètres de fond. Cette navigation de 860 miles nautiques (traduisez, plus de 1500 kilomètres), coûtera moins d’un litre de fuel à la planète, on est loin de la méditerranée !

Nous pensons rester une semaine à Mindelo, et plus si affinités. Até logo !

2 commentaires:

  1. Yo Sœur, Yo Xavier.

    Bien que je ne post pas beaucoup sur votre blog, je suis vos aventures avec beaucoup
    d'intérêts.Je suis limite des fois à spammer la touche F5 pour faire un refresh de la page :).Ou je connecte 4 fois par jour (durant mes longs courts de compta par exemple :)) pour voir si y'a des trucs nouveaux :).

    J'aime beaucoup le style d'écriture de Xavier, on sens l'envie de nous faire partager vos petits moments de plaisir tout comme vos moments difficiles. On a vraiment l'impression d'être sur le bateau avec vous bien qu'il manque pas mal de photo :).
    Donc voila une suggestion de ma part : RAJOUTER des photos ^^.

    J'ai bien aimer tes conseils sur "Comment bien vomir".Je vais tenter de l'appliquer dans mes soirées arrosés :).

    N'empêche que votre voyage me donne à moi aussi une grosse envie de découvrir de nouveaux horizons. En ce moment je dois faire un choix important : Ou aller à faire mon cursus à l'étranger ?
    Pour le moment j'ai choisi des pays dans l'union européen (on va pas aller trop loin quand même sinon je sens que "mère"(maman si tu me lit pardonne moi ^^) va nous faire une grosse crise d'anxiété). Pour le moment je pensais aller en Suède, au Danemark ou en Pologne pour commencer. Et puis peut être une petite année de césure en Allemagne.

    Sinon moi, tout se passe bien à Troyes. L'école, les matières, les profs sont super intéressant. Bon ca reste un peu dur, des fois j'ai un peu la nostalgie de ma petite campagne gambaisien...

    Donc voili voilou pour moi :)
    En tout cas j'attends avec impatience votre nouvel article.

    Gros bisous à vous deux :)
    Emeric

    PS :Quand vous serez dans les caraïbes n'oubliez pas de m'apporter une petite bouteille de rhum ;p.

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  2. woooaaaa la chance ! Chanmé la photo où tu es avec les dauphins... Beau voyage, bravo
    xx
    Laurène (smith)

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