lundi 8 mars 2010

Histoires de ponton

Voilà 10 jours que nous foulons les pontons du Marin, en Martinique. Nous redécouvrons la vie sur terre, ses odeurs et la variété de ses couleurs. D’une villa isolée sur le dos d’un immense océan, Goudrome se retrouve comme une cellule japonaise où l’on se faufile en rampant pour y trouver refuge. Le Cul de Sac du Marin est en effet à l’image d’un H.L.M., la nature humaine y refait surface dans sa plus grande diversité.

Si nous avons élu domicile a cet endroit plus peuplé que la moyenne, c’est parce que notre voyage est un herbier dans lequel nous rassemblons des personnages en guise de paysage. Pour reprendre une expression de Léo (qui nous quitte ce matin pour reprendre le sentier de son aventure), la vie ici ressemble un peu à la récréation d’une rentrée des classes où chaque enfant arbore son jouet favori et raconte ses vacances.

Nos « vacances » sont en fait un congé d’une vingtaine de jours que nous prenons vis-à-vis des copains d’escale. Nous avions évidemment imaginé une traversée possible en compagnie d’un ou plusieurs voiliers amis mais cette expérience nous prouve le contraire.

Kirha, avec à son bord Philippe, Thomas et Henrick nous aura inquiété…
Disparus dès le départ dans le détroit de Sao Vicente, nous les imaginions loin devant et poursuivions des appels VHF quotidiens. Ils sont bien arrivés, en bonne santé mais six jours après nous !
Deux facteurs expliquent ce « retard » : le premier est la déchirure du génois léger, le second est la route que Philippe a finalement préférée plus Nord. En prenant à l’Ouest alors que nous filions encore du Sud-Ouest, kirha a subi pendant 24 heures la dévente liée au relief de l’île se Sao Antao. Le moteur n’annule pas ce petit décalage qui s’accentue lors des pétoles, les derniers jours sont pénibles pour l’équipage qui se trouve sans vent ou autre carburant à une centaine de miles des côtes. Heureusement, leur balise spot nous indique la lente progression et nous finissons quand même (toujours grâce à cette merveille de technologie) par les localiser puis les retrouver de nuit au mouillage. Les retrouvailles chaleureuses ont un goût de rhum, et accessoirement de cacahuète.

Pour Kayok c’est une toute autre histoire (Louis et Roselyne me corrigent sur la précision des faits). L’Ovni quitte le ponton du Fuel par un Nord-Est bien établi, ceci 36 heures avant notre départ. Quelques heures plus tard, nous avons un contact radio, ils ont bien réduit la voilure et foncent à plus de 7 nœuds.
La nuit tombe sur cette information qui sera la dernière qui concerne l’équipage avant la Martinique. A notre grande surprise, Kayok ne figure pas sur la liste des nombreux arrivés au Marin !
Les nouvelles nous viennent de France, et par le fils de Maurice qui nous écrit son inquiétude en esquissant brièvement un sombre tableau.

Ce courrier alarmant date du 08 février, nous y répondons dès l’arrivée, le 24 février.Nous contactons de suite les connaissances de Mindelo pour en savoir plus mais cette fois les nouvelles arriveront de la mer !

Le lendemain soir « Epicure » (Claude, Damien et Sylvie, nos voisin de mouillage de Mindelo arrivés sans moteur quelques jours avant nous) nous informent de l’arrivée de Kayok au ponton 4. Je fonce sans toucher la selle du vélo jusqu’au bout du ponton voisin où je trouve Roselyne et Louis en route vers Goudrome.
Sous un épais bronzage, je discerne des sentiments contradictoires. Entre la joie et la tristesse, une fatigue lourde échappe des yeux de Roselyne que je serre fort dans les bras faute de mots. Je n’ose pas ouvrir la bouche, visiblement pas de Maurice à bord.

A travers l’histoire vécue par Roselyne et Louis, la transatlantique prend une autre dimension. Partir pour une longue durée, seul loin des terres rassurantes ; l’aventure n’est pas de défier les éléments mais bien de se prémunir contre toute éventualité. Ce qu’ils ont vécu à bord de Kayok est un cauchemar, il n’y a pas d’autre mot. A 900 miles des côtes, Maurice a commencé à vomir du sang (pas moins d’une demi bassine à chaque fois) avant d’en perdre autant par voie basse sans aucun contrôle.

Roselyne a été infirmière pendant de longues années avant de devenir directrice d’hôpital, cette expérience couplée à l’Iridium (téléphone par satellite) embarqué lui a permis de maintenir la tête hors de l’eau dans une situation dramatique.
C’est à force de courage et sang froid qu’ils ont réussi à sauver le bon Maurice embarqué pour sa sixième transat.
En appelant les secours, faute de moyens suffisant pour faire face, ils sont mis en relation avec le SAMU de Toulouse par le C.R.O.S.S. (Centres régionaux de surveillance et de sauvetage ; destinataires des alertes, ils sont responsables du choix et de la direction des moyens mis en oeuvre).
La particularité du sauvetage est de trouver la solution la plus rationnelle dans ce cas de figure. Un cargo est localisé dans les parages et pourrait délivrer du sérum à perfuser mais les conditions de mer ajoutent des difficultés et Maurice a perdu tant de sang qu’il est en collapsus.
L’océan est découpé en zones et chaque zone est prise en charge par le C.R.O.S.S. pour la zone, dans un premier temps il reçoivent des appels des autorités américaines, puis c’est le C.R.O.S.S Antilles Guyane qui prend le relais.

Le préfet de Brest ordonne la mise en place de l’évacuation de Maurice. C’est un bâtiment océanographique localisé sur les côtes de Mauritanie qui met le cap sur Mindelo pour embarquer deux litres de sang et un médecin en provenance de Dakar.

Dans un premier temps Louis ne peut pas faire demi-tour, l’état de la mer et de Maurice ne le permettent pas, il freine donc sa progression vers l’ouest.
Deux jours plus tard, la manœuvre est possible, Kayok change de cap pour l’est et s’appuie du moteur pour tenir une allure contre vent et courant. Trois longues journées seront nécessaires pour matérialiser la rencontre.

Depuis l’alerte, le C.R.O.S.S appelle toutes les trois heures, de jour comme de nuit !Le médecin et Roselyne se comprennent évidemment sur les soins à apporter au patient, mais il sent aussi que le couple faiblit.Cinq jours sans dormir, avec peu ou pas d’appétit, le moral pas vraiment au top. Les inquiétudes des secours portent aussi sur l’équipage : ses repas et autres activités du quotidien.

La manœuvre de l’évacuation est prête de part et d’autre, tandis que Louis amarre l’annexe de l’unité faisant route parallèle à quelques dizaines de mètres, des militaires très organisés embarquent sur Kayok avec une civière. L’un d’entre eux débraye le pilote automatique et prend la barre (les autorités maritimes avaient aussi prévu le convoyage du bateau et ses deux équipiers jusqu’à la Martinique)
, il y a aussi deux militaires plongeurs qui sont équipés pour parer le moindre souci.Le médecin décide d’emmener Maurice puisque les mouvements à bord ne lui permettent pas de procéder à la transfusion. Finalement le couple, après un rapide examen médical et un léger avitaillement (eau, gas-oil, sandwich) peut poursuivre sa navigation.

Maurice est rapidement transfusé, il est dans de bonnes mains. Kayok, en virant de nouveau reprend les alizés en silence. Le patient est débarqué et pris en charge pour une semaine par le fils du consul sur l’île de Praïa au Cap-Vert avant d’être accompagné sur un vol pour Paris.
Tout est rentré dans l’ordre, Maurice va mieux et cette histoire doit nous servir de leçon ! D’une part Kayok était prêt et s’était donné les moyens de régler l’urgence (un Iridium n’est pas un outil farfelu), sans les connaissances médicales de Roselyne la situation eut été très aléatoire…
Louis, comme Roselyne, insistent sur la compétence et l’efficacité des équipes du SAMU de Toulouse, des C.R.O.S.S., et de la marine nationale.

D’autres encore ont rencontré des difficultés : Valérie et« Antinéa »; après plus de cinq jours au près a failli perdre son mat, la raison est que son Hunter (voilier américain) a été mal gréé à son arrivée en pièce en Europe. Des bouts, sangles et une bonne dose de précautions à heureusement permis à l’équipage de rallier le Marin malgré un support du mat fendu !

Le voilier de Jean-Michel « Yan Maïco »est arrivé lui aussi au Marin, mais en marche arrière à cause d’un inverseur bloqué. Rien de grave pour l’équipage qui avait prévu de prendre du bon temps, leur seul moyen de produire de l’électricité étant le moteur, ils ont simplement fait une soixantaine d’heures en marche arrière.

Voici un échantillon des ingrédients qui composent nos punch du soir, la traversée. Elle est tellement personnelle ou exceptionnelle pour chacun d’entre nous qu’on ne lasse pas d’en parler. Pas d’inquiétude, cette douce communauté reste tournée vers le large, le spi est réparé et la réparation de l’enrouleur est à l’étude. Goudrome sent le départ !


2 commentaires:

  1. Bon .... c'est bon d'avoir de vos nouvelles ... mais j'avoue que tout cela fait froid dans le dos et que finalement , c'etait bien aussi quand on se contentait de vous imaginer entre deux punchs ... Heureusement que , au final tout va bien pour tout le monde ...

    Bisous a vous , prenez grand soin de vous

    Shanghai

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  2. Ouf!

    Bizz à vous deux!

    Vinzz

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