dimanche 11 octobre 2009

de Cythère (Kapsali) à Malte







Mardi 29 septembre, seize heures trente, après une bonne journée consacrée au repos et à l’approvisionnement, nous appareillons pour Malte.

Enguerrand, qui a vraiment contribué aux préparatifs largue les aussières et me les envoies, un symbole très fort puisqu’il restera à terre…
Un départ déchirant, j’ai l’impression d’abandonner un ami mais je n’ai pas le choix ; Raphaël a des impératifs de date et nous devons avancer coûte que coûte.
Contourner la Crête par le Nord (par vent de Nord Ouest) pour gagner au vent était peut-être une erreur ? La route Sud aurait été plus confortable ?
Cette situation me rend triste et une fois au large par mer calme, je me demande si ce départ n’était pas un peu précipité ?


La mer est calme, le vent est un courrant d’air, le premier quart sera un exercice de réglages fins tant à la barre (chaque écart coûte un peu de vitesse) qu’à la mise en forme de la toile.
L’écoulement de l’eau sur le safran produit un son particulier dès que l’on passe deux nœuds, une récompense qui passe en direct des oreilles au moral !

En passant le relais, celui qui achève ses deux heures est sanctionné par le point sur la carte (en reportant la position en latitude et longitude on obtient la position précise du bateau, facile avec le GPS) tant on avance péniblement…
Heureusement le temps change, quand Raphaël m’éveille pour le quart suivant, le vent a un peu fraîchi.

Le rituel de la reprise est un moment vraiment particulier : il faut dire que ce n’est pas très naturel de s’éveiller toute les deux heures en pleine nuit !
En deux mots, cela se passe plus ou moins comme ceci : celui qui éveille la victime doit en général la secouer physiquement et attirer son attention en lui parlant et en créant une situation alléchante (son propre sommeil dépend de la vitesse selon laquelle l’éveillé s’exécute) qui consiste à proposer un thé ou a communiquer directement avec l’estomac en dressant la listes des gâteaux, fruits secs et autres plaisirs qui agrémentent l’éveil.
Ensuite la victime à peine éveillée (et en slip) tente de sortir en ligne droite en accompagnant la danse du bateau pour « prendre la température » ; et accessoirement, faire pipi.
Là, le barreur (en pleine forme puisque presque au lit)lui bourre le crâne de tout ce qui lui est passé par la tête pendant deux heures et lui donne des indications précises sur le nombre de bateaux, le cap et toutes les informations qui concerne la navigation.
De retour à l’intérieur, la victime agressée par l’humidité et le froid, s’habille au mieux pour passer un bon moment. Même en méditerranée en saison, les nuits sont plus fraîches et humides.
Une fois parée, la victime fait irruption dans le cockpit version nuit avec la boisson chaude.
La barre en main, un changement radical de situation s’opère, on s’installe confortablement et on oublie le sommeil pour passer en phase d’éveil.

Le sommeil c’est l’autre qui va le trouver, mais seulement au bout de quelques petits exercices…
On a pensé que cela était plus facile d’écoper les fonds de cale après son quart donc on fonctionne ainsi depuis le début.
Ecoper, c’est vider l’eau qui pue le fuel qui pénètre à bord via le presse étoupe en soulevant un bout de plancher dans le carré et en remplissant des sceaux à l’aide d’un petit récipient (jusqu’à quatre toutes les deux heures si on utilise le moteur) que l’on vide par-dessus bord.
On se passerait volontiers de cette gymnastique mais il en sera ainsi tant que le stockage d’énergie sera insuffisant pour actionner la pompe de cale et que le bateau n’aura pas été mis au sec, permettant ainsi de façonner le nouveau joint d’étanchéité de l’arbre d’hélice (presse étoupe vient d’étoupe, la filasse de chanvre ou de lin qui sert à confectionner le joint)
Et comme on s’accommode de tout, on trouve que c’est une bonne transition avant d’aller enfin se coucher.

Celui qui reste, le bout de bois dans la main, missionné pour tenir un cap et veiller à la sécurité, se retrouve seul au monde pour le meilleur et pour le pire.
Dans les conditions idéales, et c’est presque toujours le cas, le quart est un petit cadeau qui met nos sens à l’épreuve dans l’obscurité ; chaque centimètres carré de peau exposé est un capteur a décoder, chaque mouvement de gîte du bateau ou chaque son interprété et mis en application sur le gréement va permettre au barreur de manœuvrer un engin de plus de dix tonnes du bout des doigts dans une direction donnée !
Cette direction, le cap à suivre (tracé sur la carte) est lisible en permanence sur le compas (un genre de boussole marine enfermée dans un globe contenant de l’eau qui met en avant la direction du bateau selon par rapport au Nord magnétique), le seul instrument se trouvant dans le cockpit (très légèrement éclairé par le haut, sa lecture peut devenir fatigante et difficile).
La nuit, la lune et les étoiles sont des éléments de plus qui nous indiquent également notre cap ; personnellement, je cale toujours une étoile dans les haubans ou dans les balcons pour éviter le torticolis latent si l’on reste collé au compas

La terre tourne, le jour pointe son nez mais pas le vent. Mer d’huile, l’air est chargé d’humidité, nous avançons (au moteur) vers l’Ouest dans la brume.
Nous avions pourtant bien pris note de la météo (les prévisions étaient plus optimistes), mais il n’en est rien, pétole !
Vers midi, nous changeons de Cap pour Cythère, une petite île au Nord de la pointe Est de la Crète.
Moteur, Moteur, Moteur…
Un petit cadeau d’Enguerrand prendra ici une valeur inespérée, les boules quies : je n’avais jamais essayé ce type d’accessoire mais il se fait que cela est plus qu’à propos, j’ai absolument amélioré mes nuits depuis le premier essai (merci mon bon Enguerrand, tout en délicatesse, comme d’habitude) !
Nous arrivons à Kapsali (Cythère) le lendemain vers seize heures et découvrons ,au bout de grands massifs rocheux où sont accrochés un hameau pittoresque et un fort Vénitien, une jolie crique remplie d’eau claire sur fond de sable et de roche.
A peine à terre on s’active pour refaire le plein de fruits, légumes (domaine dans lequel on était un peu léger) et de fuel, un pêcheur sur le départ nous communique un numéro de téléphone et un français (le patron de la crêperie « Vanillia », un ch’ti ) à la gentillesse de formuler notre commande en grec pendant que nous étudions les prévisions, pour une livraison bouclée en deux heures.
Notre bière en terrasse est rafraîchissante à souhait, l’ivresse qu’elle procure nous rapproche du sens historique (Cythère serait le lieu de naissance d’Aphrodite), nous ne regrettons pas ce détour.

Le lendemain à l’aube, nous sommes éveillés par un bruit provenant du seul autre bateau à quai, un joli bateau de pêcheur à moins de dix mètres sur lequel trois individus sont déjà au comble de l’activité : l’un d’entre eux tabasse le poulpe à l’aide d’un outil qui ressemble à une pagaie en bois légèrement courbée et élargie en son extrémité.
Le second, un adolescent, se charge de piétiner les mollusques amassés dans un filet avant de les rincer. Cet épisode durera le temps de notre petit déjeuner.
Le troisième homme, plus âgé, quitte l’embarcation un instant pour lire un document (la météo que nous découvrons dès leur départ, force 6 et 5/6 pour le lendemain) affichée sur la porte du bureau des douanes avant de se rendre à la chapelle à quelques pas pour une petite prière.

Le GPS nous indique 485 miles nautiques (800 km environ), nous sommes motivés, il faut profiter au maximum du vent les deux premiers jours, après cela va en faiblissant !
Au menu pour le déjeuner, omelette aux champignons, tout va bien, nous somme au près bon plein (l’allure agréable près du lit du vent) par force 4/5.
La mer monte avec le vent, à 17h elle est forte et il est difficile d’évaluer la force du vent (je crois que là il souffle plus fort qu’au large de Karpathos) ! Nous avons déjà pris deux ris de grand voile et enroulé la moitié du génois, la mer change de visage et devient noire, les crêtes des vagues de plus en plus hautes déferlent en nous faisant parfois pivoter de 60°.J’observe ce spectacle abrité sous la casquette (bravo Jean-René, c’est absolument génial cette casquette, par tout temps !!) en laissant au régulateur le soin de corriger la trajectoire
Vers 3h nous prendrons le troisième ris ce qui nous laisse une voile dont on peut oublier le nom (une grand voile avec trois étages en moins, ce n’est plus vraiment une grand voile).
Nous abattons pour passer grand largue (installons le bastaque babord) quitte à abandonner le régulateur et notre cap pour aller plus au Nord, ça va très vite et on ne tient plus la houle de travers qui envoie des trombes d’eau dans le cockpit en percutant la coque, une fois derrière nous les vagues nous font littéralement surfer !
C’est impressionnant vu de la position de barreur, on a vraiment le sentiment que ces paquets d’eau vont avaler le bateau .Il n’en est rien, Goudrome fonce et a un comportement super rassurant !
Ce gros temps nous épuise toute la nuit et même jusqu’en milieu d’après midi le lendemain, nous avons tenu une vitesse élevée et parcouru quasiment un quart de la route, mais pas tout à fait dans la bonne direction car nous avons pris la fuite…

Quand le vent faiblit, on essaie de se reposer jour et nuit en suivant l’ombre de l’autre dans le seul lit ou l’on peut se caler confortablement dans le sens du gîte (le lit chaud est chaud et humide) et on découvre les courbatures générées par le ballottement et les tensions. On note aussi un petit laisser aller sur la navigation, une mauvaise charge des batteries liée à la couverture nuageuse (on s’est fait rincer en bonne et due forme par une succession de deux grains au petit matin).

« C’est Dimanche, je t’ai préparé un bon petit déjeuner », c’est ainsi que j’éveille Raphaël parce que j’ai le sentiment qu’il faut que l’on parle…
Autour de petits plats mijotés (aubergines grillées, œufs brouillés, beans, oignons confits, etc.
Les langues ont du mal à se délier, il faut dire que le moteur et nos boulles-Quies ne facilitent pas la communication.
Raphaël est sous pression (son plus gros client l’attend pour la réalisation de sculpture géantes, un domaine dans lequel il s’éclate et se réalise) le vent est quasi inexistant et le fait que l’on se traîne provoque chez lui un doute terrible et trop palpable pour que je l’ignore. De mon côté, je dois être invivable pour Raphaël tant je compense par un optimisme démesuré et couplé à un combat anti-moteur.
Vers midi, les conclusions me laissent perplexe et j’ai du mal à imaginer un demi tour vers le Péloponnèse…
Le compromis que nous trouvons est de tenir une vitesse moyenne de quatre nœuds minimum au moteur plein pot tant qu’il n’y a pas de vent et d’ajouter quelques degrés au cap pour faire route plus au Nord et prendre l’option de toucher la côte Sud de la Sicile plus proche que Malte.
Moteur, Moteur, Moteur, jusqu’à 19h sans répit…
Nous avons embarquer quasi 100 litres de gas-oil assurant une quarantaine d’heures à la vitesse voulue.

Vers minuit Raphaël m’éveille, je suis forcé de constater que nous n’avons plus de batteries, les feux de navigation viennent de s’éteindre…
Je pousse le commutateur sur la batterie neuve qui n’était pas raccordée jusque là et à la demande du barreur qui n’en peux plus de tenir un cap sans vent, je tente de démarrer le moteur…
Rien, un petit « clic » annonçant un problème électrique plus grave…
La batterie qu’Enguerrand a transportée vaillamment à travers tout Rethimno est de bonne constitution, elle indique une charge nettement suffisante !
Cela doit être un souci de bobine d’allumage ou de démarreur (il arrive que les charbons se collent) mais mes essais se clôturent par un échec cuisant.
Je sens que Raphaël me fait confiance pour ce qui est de la mécanique mais là j’avoue que je n’ai pas de solution, on y verra plus clair de jour.
L’escalier est à peine reposé, j’essaie de me dépêtrer du cambouis sans me soucier de ce qui se passe à l’extérieur, plutôt préoccupé par la maigre heure de sommeil qu’il me reste mais la météo s’impose rapidement comme l’élément majeur et prioritaire.


En passant la barre, trois heures plus tôt j’informais mon remplaçant des perturbations atmosphériques reportées dans le journal de bord (le baromètre avait perdu Quatre hectopascals) qui se confirmaient matériellement par des orages particulièrement violents sur un bon quartier d’horizon. C’est exactement pour cette raison que Raphaël m’avait éveillé une demie heure plus tôt, et ce qui se rapprochait dangereusement était maintenant au dessus de nos têtes !
Le ciel est d’un noir profond, les cumulonimbus menaçants nous enveloppent quasi complètement, plus de lune, plus d’étoiles plus de nuances dans l’atmosphère et pour couronner le tout, plus de moteur pour s’échapper !
Gloup, pas le temps de réfléchir à sa condition, je bondis en slip sur le pont, attache mon gilet de sauvetage et m’accroche à la ligne de vie pour rejoindre Raphaël qui en fait autant, un vent très violent accompagné de pluie nous oblige à tout affaler dans l’urgence.
D’abord la grand voile que nous attachons au mieux puis le génois qui est évidement coincé par la drisse de l’enrouleur !
Les écoutes s’envolent sous le vent et deviennent des fouets qui claquent, le génois affalé est maintenant dans l’eau, nous le remontons en paquet et je le noue de toutes parts avec tous les bouts à portée de main pendant que Raphaël sort la trinquette (la voile de tempête) que je hisse sur le bas étai alors que Raphaël passe les écoutes vers le Cockpit.
La houle que nous prenons de travers balance littéralement le bateau de part et d’autre, nous rentrons tout ce qui pourrait s’envoler et faisons un rapide ménage dans le carré pour éviter les accidents bêtes.
Les verres et tasses sont enroulés dans des vêtements, les batteries débranchées complètement.
Il nous reste à fuir vers le seul bout de ciel dégagé mais les rafales se calment rapidement et nous ressortons la grand voile en conservant la trinquette…
La bataille ne dure pas mais il faudra quand même quatre heures d’acharnement sur le pont avant que nous soyons à nouveau gréés pour reprendre le cap initial !

Fatigués, le moral pas plus au top que les batteries, nous reprenons l’écope pour vider les fonds de cales qui se sont remplies plus que d’ordinaire, l’eau aromatisée huile et fuel a atteint la cale ou nous entreposons les bottes et les chaussures.
Le vent a disparu, nous utilisons nos dernières cartouches énergétiques pour envoyer le spinnaker (une voile énorme et très légère utilisée pour les allures portantes) que nous réglons pour approcher au maximum le lit du vent.
Grave erreur, évidemment on avance mais on perd au vent !
Résultat, on se trouve sensiblement au même point que cinq heures plus tôt à 18h30 !

Les choses vont en s’améliorant, à commencer par la charge des panneaux solaires qui donnent plein pot et une bonne nuit de navigation rigoureuse par trois beaufort qui a un effet similaire et nous remplit d’espoir !
Nous sommes le six octobre, grâce aux batteries, le pilote automatique nous satisfait et nous libère de la barre, je me plonge dans des calculs de moyennes pour établir des pronostics sur la date de notre arrivée.
En me déplace en silence, j’évite de perturber le sommeil de Raphaël qui mérite une bonne nuit et lui annonce le fruit de mes calculs autour d’un bon vrai café (en général on ne boit que du déshydraté par facilité).Nous devrions atteindre la terre vers le neuf octobre si le vent ne nous abandonne pas complètement !

Pas de nuages, plein soleil signifie que nous passons le plus clair de notre temps à orienter les panneaux solaires et à modifier sans cesse l’orientation du genre de filet que nous tendons en guise de taud.
Ce midi, c’est un vrai bonheur, on se sert un petit Raki turc (en navigation, on ne bois jamais d’alcool, ça fait des vacances à mon foie) et on mange des chips !
Ensuite on se baigne, on se lave à l’eau de mer puis on se rince à l’eau douce, le contact de l’eau douce est vécu comme une renaissance (on a bien essayé de se laver lors des grains mais c’est trop bref pour se « finir » à l’eau de pluie) !
Se laver à bord, c’est aussi oublier les excès de pudeur, il faut accepter d’être nu en compagnie de l’autre qui finit par ne plus y prêter attention.

Nous passons la nuit au régulateur par vent de Nord Ouest force trois, le pilote a pas mal consommé, nous économisons en allumant uniquement le feu de mouillage en tête de mat qui consomme moins et qui a l’avantage de semer le doute chez les autres qui nous détectent au radar sans pouvoir nous identifier comme un voilier.
On a maintenant l’habitude d’être pris pile entre deux rails et de manœuvrer quand on arrive au point de croisement de deux navires.
Au petit matin, après une nuit de tranquillité sans trafic je fini quand même par croiser un énorme pétrolier et celui-ci suit une route parfaite de collision, c'est-à-dire que je fais des relèvements successifs et obtient toujours le même angle !
Dans ces conditions, je suis contraint à abandonner mon cap plein Ouest et abattre vers le sud pour me présenter tribord amure jusqu’à avoir dépasser le navire.
Prêt à m’exécuter, les écoutes en main pour choquer les voiles, je découvre que l’autre a anticipé et vire pour faire route vers l’Est…
Vu de Goudrome, c’est comme si le défilé du 14 juillet s’interrompait pour laisser passer une petite tortue ??
Evidemment la VHF est coupée, on ne se fera pas insulter !
Le GPS et le compas sont en désaccord ce matin, le premier nous indique une route fond à 260° quand le cap est de 290° au compas ?
Ceci signifie une dérive de 30°, je tiens donc un cap au plus proche du vent pour maintenir une position au dessus du 36° parallèle.
La Valette, la capitale de Malte est précisément à 35°54'071’’Nord, par vent de Nord Ouest il est sage de garder une position le plus au Nord pour abattre à l’arrivée.
Sinon c’est Kadafi qui nous accueillera !

Les dauphins sont nombreux, timides au départ, j’en avais observés une dizaine en escadre lors d’un quart de nuit en répondant à leurs sauts avec une lampe torche.
Leur présence doit être liée à la profondeur ou plutôt à la température de l’eau qui doit être sensiblement plus fraîche par 4000mètres de fond ?
En tout cas, on ne se fatigue pas de les voir faire des galipettes dans les remous de l’étrave, ils adorent quand on va vite et moi j’adore quand ils sont là !

La date prévue d’arrivée approche avec les côtes, nous sommes à 35 miles nautiques de notre port d’arrivée le 08 octobre à 10h, gagné !

Pas vraiment, nous allons payer l’addition de nos petites erreurs…
Le laisser aller des lendemains difficiles, l’utilisation du pilote réglé au près bon plein plutôt qu’au près serré qu’il tient moins bien…
Plusieurs phénomènes vont contre nous, le premier est le courrant qui porte vers le Sud à environ 1,5 nœuds.
On a eu peine à le croire mais, en se baignant (ceinturés par un long bout attaché au bateau), il nous était impossible de rejoindre l’échelle en nageant à perdre haleine (alors que le bateau avançait à moins d’1,5 nœud selon le GPS).
Le second estla baisse significative du vent clairement lisible sur la route tracée par l’ensemble des points relevés (à peu près toutes les deux heures) sur la carte.

Ce qui se passe est donc simple, le vent faiblit et le courrant reste stable, nous perdons complètement la route idéale et nous trouvons douze heures plus tard à devoir faire route inverse, plein Nord contre le vent et le courrant !
De plus, juste avant la nuit nous sommes entourés d’une multitude de bateaux gigantesques (on en compte plus de trente) pile dans l’axe longeant la côte où l’on va et qui semblent former un cortège immobile et impossible à traverser !
Heureusement le vent n’est pas complètement tombé, dix heures seront nécessaire pour rejoindre le point noté vingt heures plus tôt…

Le temps n’a jamais semblé si long, le moral n’a jamais été si bas, Raphaël et moi sommes tendus comme des arbalètes et à ce train là, il faut bien avouer que l’on n’est pas rendu !
Chaque essai de virement vers l’Ouest nous fait perdre au vent et annule les maigres miles obtenus au bout de longues heures de près hyper serré (sans lâcher la barre une seconde).
C’est électrique entre nous, chacun élabore sa propre stratégie en pensée, la communication est à nouveau au plus bas !
J’ai du avoir un conseil en rêve ou je ne sais quelle révélation mais en prenant mon quart le 09 octobre à 2h du matin, je demande à Raphaël épuisé de tourner la clef du moteur avant d’aller se coucher.
Il me répond simplement : «ok, je fais un clic et je vais au lit »

Ce « clic » est un soulagement qui lance le moteur et notre sang ne fait qu’un tour !
La scène qui suit est difficile a décrire tant elle libère nos angoisses, il y a une fréquence sonore qui nous échappe, un truc proche de ce qu’émettent les supporters de football dans les stades, entre le cri de joie et le hurlement sauvage…

Une chose est sure, les deux jeunes hommes que nous sommes sont en train de vivre une expérience qu’ils ne sont pas prêts d’oublier !

Pour conclure cet épisode, je croyais connaître Raphaël et il devait avoir la même certitude en acceptant d’embarquer.
La mer nous aura donné l’occasion d’approfondir cette relation (nous avons passé plus de temps ensemble en un mois que sur des années à terre), elle aura mis en relief des traits normalement estompés par le quotidien dans lequel on évolue habituellement, et nous aura poussé à connaître nos limites.
Je suis heureux d’avoir fait cette expérience avec un partenaire si sûr (en règle générale il est vivement déconseillé de prendre la mer si le temps est compté !!), qui n’a pas hésité à poursuivre malgré les contraintes personnelles apparues en cours de route. Merci !
Et chapeau de m’avoir supporté !

Raphaël s’est envolé le lendemain, cette première et longue navigation me permet de tirer des conclusions sur les détails à régler pour le confort des suivantes…
Ma princesse arrive dans deux jours, elle est presque au bout de ses peines à Saint-Ouen !
Merci de loin mais du fond du cœur à tout ceux qui lui ont prêté la main !

1 commentaire:

  1. Aïe Xa!

    J'ai lu ton récit haletant de A à Z en m'agrippant à ma chaise. Et j'ai adoré la belle métaphore de la tortue! Quelle épopée! J'ai aussi pu reconnaître ton amour du vocabulaire technique maritime, qui n'a rien à envier à celui du bâtiment.

    Peux-tu passer le bonjour de ma part au prochain dauphin que tu croises ?

    Je pense beaucoup à vous,

    Agent TV

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